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La Source à Garnier : Alu en acier trempé

Ballet de repris en ces fêtes de fin d'année à Garnier, la Source permet de découvrir de nouvelles distributions.

En premier lieu, le ballet se prête toujours (étant donné qu'il fait désormais partie du répertoire, mais n'est pas pour autant un classique) aux observations qui avaient amenées certaines réticences lors de sa création.

Les éclairages sont toujours aussi pauvres, ce qui instille une ambiance rasante et mystérieuse, mais pas nécessairement judicieuse lorsque cela est vu de différents endroits de la salle. Ainsi, certaines parties de l'œuvre restent toujours opaques à la compréhension de l'œuvre; peut être les visionnages successifs permettent-ils de saisir plus de détails, mais l'ensemble reste laborieux, entre pas de deux et variations qui surviennent sans réelle préparation et sans en assumer pour autant le statut de divertissement pur. L'écriture chorégraphique reste pudique, brillante, spirituelle, à l'image de l'interprète qu'était et à celle que l'on se fait d'une idée de l'école française. Cela n'est donc pas sans pâtir sur le ressenti des passages de danses de caractère qui sont bien anémiées, comme si l'on n'y avait pas le droit de vraiment danser. Enfin, il faut concéder que les pages les plus drolatiques, tel le Tableau du Palais du Khan, sont données avec un sérieux plombant , échappant de fait au plaisir, peut être gratuit, d'offrir un contrepoint souriant au tragique de la pièce et qui n'aurait que d'autre but que celui d'être agréable et un peu vain. Là, les effets tombent simplement à plat, malgré la musique enjouée, malgré la cocasserie d'un Khan de pacotille dont le seul attribut semble être les femmes de son harem, malgré les minauderies caricaturales d'une Valentine Colassante en Dadjé, fort bien dansante, mais peu à propos. Se priver de l'équilibre entre les genres sérieux et léger ne flattent ni les sens ni l'intellect et constitue un défaut majeur de l'œuvre. Dans les scories les plus flagrantes figure également l'inconstance du personnage de Nouredda qui change d'atmosphère plusieurs fois par acte et jusque dans ses morceaux même (on ne comprend vraiment pas pourquoi elle est si béatement heureuse en dansant avec son frère quand trente secondes auparavant, elle se morfondait dans une plainte languissante; également, comment peut on justifier sa joie de danser devant le Khan quand elle se flagellait un acte entier avant d'y aller?).

En revanche, subsistent de magnifiques moments, et notamment le pas de deux de Nouredda et Djémil dans le second tableau de l'acte II, qui est un pas qui pourrait être extrait de la totalité de la pièce pour en faire un cheval de bataille de galas en recherche d'émotionnel; d'ailleurs, la chorégraphie se fait ici moins typique de , et l'on a plus l'impression de la puissance évocatrice que sait faire naître, par exemple, dans ses meilleurs créations, un John Neumeier néoclassique.

La distribution donnée ce soir là permettait en quelque sorte d'asseoir la narration, non plus sur Naïla uniquement, mais sur la nymphe et Nouredda; cela est amené par l'écrasante suprématie d', panthère magnifique dont l'apanage ne serait pas la technique seulement mais aussi de mettre la danse au service de l'expression. Sa présence irradiante en fait une image de la féminité, ni terrestre, ni aérienne, ni danseuse du XIXème siècle un peu compassée, et encore moins danseuse contemporaine en proie à ses doutes sur sa relation à la danse classique. Respirant avec l'âme des sensibles, Mlle Grinsztajn étincelle, éblouit, danse dans la terre et dans l'éther. Elle vole, certainement, la vedette à , qui offre une Naïla d'une sincérité touchante, volontaire. Généreux et souriant, son style n'est pas celui de la porcelaine fragile et insaisissable mais plutôt celui de la célébration de la vie qui sait insuffler joie et espérance; ce qui n'est finalement pas le destin de l'héroïne, qui se retrouve, de ce fait, face à une mort inopinée et surprenante. On apprécie l'art de la danseuse qui se démène comme elle peut à porter l'étoffe d'une tragédienne.


Figure peu habituelle des canons romantiques, la délaissée Naila ne pourra attirer l'attention de Djémil, incarné par . Tout s'arrête quand il danse. Repéré dans Piège de Lumière à l'Ecole de Danse comme soliste, il s'est imposé comme le digne successeur d'une génération de danseur comme l'Opéra de Paris n'en fait plus, à la manière d'un Nicolas Le Riche: osant tout techniquement (et en rajoutant doubles saut de basque en l'air, tours à n'en plus finir), sa crédibilité artistique se trouve agrandie par le fait de tenir, en tout lieu de la scène et en tout instant, la narration en lui; le regarder même quand il n'est pas le centre de l'action fait voir un acteur concerné qui remporte le pari qu'un danseur de demi-caractère peut aussi jouer dans la cour des grands, avec un panache insolent et néanmoins maîtrisé. Alliage précieux entre virilité naturelle et suprématie technique, n'est pas appelé à n'être qu'une Etoile de l'Opéra de Paris.

Complétant les rôles masculins, Audric Bezard, ferme dans ses intentions et , malicieux et très bien dansant (ses tours à la seconde témoigne du métier sérieux) finalisent cette distribution où le corps de ballet connaît l'absence des « piliers » de la création, ce qui se ressent dans les approximations des figures et du style. On y aura surtout remarqué que l'on aura le plaisir de ne plus voir dans les ensembles, car ayant été nommée le veille Première Danseuse, elle danse là ses derniers jours en tant que Sujet.

La reprise du ballet fait que l'on retiendra bien plus que ce qui en serait de prime abord attendu; l'action du magique dans la dramaturgie, le rôle de la fleur (objet de convoitise autorisant les transferts d'amour et de vie-l'imaginaire du ballet romantique est nourri de ces objets si anodins), les nymphes indolentes qui s'éveillent alors que la vie se retire de Naïla célèbrent la Source, l'eau vive pourvoyeuse de tous les bienfaits dans lesquels les hommes et la nature communient avec grâce et dans la reconnaissance que l'histoire n'est rien face à l'intemporalité des éléments qui nous dépassent.

Crédit photographique : ; vue d'ensemble © Julien Benhamou/ Opéra national de Paris

 

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