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Brundibár à Dijon ou le triomphe de la vie

Un petit bijou à la fraîcheur réjouissante ! Voila l'impression que l'on garde de cette nouvelle production. On y retrouve le plaisir des contes, mais la mise en scène n'oublie pas les terribles circonstances dans lesquelles Brundibár a été représenté.

est un parfait représentant de la culture foisonnante de l'Europe centrale de l'entre-deux guerres : en effet, il fut l'élève d'Alexander von Zemlinsky mais aussi celui d'Albert Roussel, et vécut à Prague et à Berlin. Mais est juif, et Brundibár va vivre une aventure poignante et symbolique. En 1941, le pays est occupé par les nazis et les orphelins juifs qui doivent jouer l'opéra sont finalement déportés à Theresienstadt. Ce sera dans ce lieu, qui servit de vitrine, de camp convenable pour les représentants de la Croix-Rouge, que Brundibár va être joué avec les moyens et les instruments disponibles : il y aura plus de 50 représentations. est déporté à Auschwitz en 1944, et il y est gazé sans doute dès son arrivée.

La Minoterie, ancienne bâtisse du même nom, mais maintenant destinée à tous les minots, est devenue à Dijon un endroit dans lequel Brundibár peut se sentir à l'aise ; en effet, le metteur en scène et le scénographe Fabrizzio Montecchi utilisent au mieux cet espace restreint. Des maisonnettes sur roulettes, des personnages en carton dessinés comme sur des livres d'enfants, des jeux d'ombres remarquables et pleins de trouvailles poétiques, tout cela est manipulé sur scène par les chanteurs-acteurs dans un ballet réglé au quart de poil. Les costumes rappellent ceux des années d'après-guerre avec jupes plissées et bermudas à bretelles pour des enfants qui ne manquent jamais de vivacité et d'efficacité. Tout ce petit monde récite son texte en tchèque sans hésiter (pour une critique très béotienne, elle l'avoue) une seule fois : une prouesse, résultat d'un travail de «  pro » ! On ne peut qu'admirer la synchronisation sans faille des mouvements de scène, que bien des acteurs envieraient ; que ce soit dans les évolutions des héros Aninka et Pepiček, ou dans les quatuors d'oiseaux, de chiens et de chats, la fluidité de l'enchaînement des mouvements donne l'impression d'un danse aérienne : on est dans un monde où le temps n'est plus le même.

Les ensembles vocaux, qu'ils soient polyphoniques ou à l'unisson, témoignent d'un travail soigné et sont d'une clarté sonore remarquable. On peut seulement regretter, dans les premiers instants, que les voix des jeunes héros soient couvertes par l'orchestre. Le prompteur remplacé par des panneaux avec texte explicatif porté par les enfants permet la compréhension de l'argument tout en faisant allusion au cinéma muet. Pour son orchestre hétéroclite, Hans Krása semble avoir écrit une composition qui confirmerait cette impression. Les musiciens tchèques collent au sens du drame grâce à l'écriture variée du compositeur. La direction précise d'Etienne Meyer permet de saisir toutes les virevoltes stylistiques des séquences de caractères opposés : néoclassique, viennois, folklorique ou jazzy.

On n'oublie pourtant pas la première image que nous propose ce spectacle plein de délicatesse. Sur le rideau de scène, que des pas en ombre chinoise semblent enjamber, viennent s'entasser des personnages vus de dos, précisément découpés par la lumière : on devine qu'ils sont en manteau de voyage, qu'ils ont des valises, qu'il y a des enfants, des femmes et des hommes avec leurs chapeaux. Aucun bruit, aucune musique n'accompagnent cette cohorte des ombres : bel hommage silencieux à tous ceux de Theresienstadt et des autres camps…

Crédits photographiques : © Gilles Abegg / Opéra de Dijon

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