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Annick Massis prend sa revanche à Strasbourg

Fêtée partout dans le monde, n'a pas en France la place qui lui revient. Après son triomphe à la Bastille dans Le Cid de Massenet, elle propose à l'Opéra national de Rhin un programme tout en finesse et délicatesse.

Elle avait émerveillé le public lors de sa participation aux représentations des Pêcheurs de Perles de Bizet à l'Opéra national du Rhin au printemps 2013. Elle revient à Strasbourg pour un soir, à l'occasion d'un récital qui permettra au public de découvrir la face cachée de son talent. On louera donc tout d'abord l'audace et l'originalité d'un programme pour le moins singulier, qui débute par des mélodies de Messiaen pour s'achever sur Il Bacio d'Arditi, un des chevaux de bataille de la Patti qui enchantait l'Angleterre victorienne d'autrefois…

Essentiellement consacrée à la mélodie française du tournant du vingtième siècle, la première partie se déroule sur le mode de l'intime. Elle permet à la cantatrice française de se chauffer et de tenter de maîtriser un vibrato quelque peu envahissant en début de concert, notamment dans les notes les plus graves de la voix. L'instrument ne se départit à aucun moment de ce très léger grelot qui fait tout son charme, et qui rappellerait presque celui de la Renée Doria d'autrefois. Car c'est dans Thaïs de Massenet, évidemment, qu'on rêverait d'entendre cette voix éminemment pulpeuse, dotée d'un pouvoir de séduction véritablement envoutant lorsqu'elle est parfaitement contrôlée. Si les mélodies de Debussy, Thomas, Paladilhe et autre Bachelet inspirent à les couleurs les plus subtiles, les plus planants « Oh ! quand je dors » de Liszt, ou « Si mes vers avaient des ailes » de Hahn, donnent lieu à d'ineffables phrases filées, qui ouvrent des portes sur un espace poétique d'une infinie douceur. Dans tous les cas, la diction française est absolument exemplaire, même si elle n'est pas exempte de ce soupçon de préciosité qui rappelle immanquablement les grandes chanteuses françaises du passé…

La deuxième partie avait été annoncée comme « italienne ». On y a surtout entendu, de la part de plusieurs célébrités du dix-neuvième siècle, la réécriture pour chant et piano de certains de leurs grands succès théâtraux. Le « À la madone » de Gounod n'est ainsi rien d'autre que la transposition pour piano et voix seule du premier grand duo de Roméo et Juliette, « Sole e amore » de Puccini reprend les mélodies les plus connues de La Bohème ; si les initiés seront peut-être seuls à reconnaître le grand air d'Elvira des Puritani dans la pièce « La Ricordanza », tous s'étonneront de constater que la « Chanson groënlandaise » de Catalani, d'après un poème en français de Jules Verne, reprend le fameux thème du grand air de La Wally… Si dans toutes ces pièces est souveraine, c'est résolument dans le monde de Luigi Arditi, avec ses vocalises et ses cocottes, qu'elle se montre aujourd'hui sans rivale. À ses côtés, le pianiste se montre un accompagnateur aux petits soins, d'une délicatesse à l'image de l'interprète qu'il a la charge de soutenir.

Fêtée unanimement où qu'elle passe – Milan, Vienne, New York, Salzburg –, Annick Massis n'a pas en France la place qui lui revient. L'espace médiatique auquel elle aurait droit a été usurpé par d'autres chanteuses, moins soucieuses du poids de la tradition et de l'école dont elles sont les héritières. Le récital de ce soir aura fourni à l'une de nos plus grandes sopranos françaises une courte mais juste revanche.

Crédit photographique : Annick Massis © Gianni Ugolini

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