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Le Roi Arthus à Paris, sublime et trahi

On se réjouissait évidemment d'entendre enfin Le Roi Arthus à l'Opéra de Paris. L'ouvrage recèle d'admirables beautés et la noblesse d'inspiration de Chausson force le respect et l'admiration. Musicalement, le résultat dépasse nos espérances. Mais quel dommage qu'une mise en scène malvenue vienne ternir notre plaisir !

A tout seigneur tout honneur: l'orchestre se couvre de gloire, sous la baguette inspirée de , qui rend ainsi un digne et touchant hommage à son père Armin à qui l'on doit un enregistrement inoubliable. Dans la structure très ordonnée d'une partition dont chaque acte est divisé en deux tableaux, les six préludes et interludes sont des chefs d'oeuvre où l'on retrouve non pas Wagner non pas Debussy mais bien Chausson, l'auteur d'une des plus belles symphonies françaises. Puissante, héroïque ou tendre, la phalange de l'opéra de Paris y déploie une palette de sonorités et de sentiments à se mettre à genoux.

La distribution frôle elle aussi la perfection. Le Lancelot d'Alagna, timbre solaire, français impeccablement intelligible nous bouleverse par son combat entre l'amour et la loyauté; face à lui l'Arthus de (lire notre entretien) nous émeut tout autant par son renoncement progressif lorsqu'il voit tous ses idéaux (amour, amitié, honneur, courage) lui faire peu à peu défaut. peine un peu à restituer le personnage il est vrai peu sympathique de Genièvre, tentatrice, colérique, manipulatrice mais à la fin formidablement touchante en amoureuse désespérée. Il est vrai qu'elle n'est pas aidée par la mise en scène qui lui impose des attitudes frôlant le ridicule.

Des seconds rôles, on placera au pinacle le Lyonnel, écuyer de Lancelot, de , timbre éclatant, français châtié, une pure merveille. Tout aussi impeccable est le bref emploi du laboureur, . Moins convaincant, et moins intelligible aussi, le Merlin de Peter Sidhom, dont l'unique scène contenant l'air sublime « pommiers verts, pommiers fleuris… » ne nous étreint pas comme elle le devrait. Mince réserve devant une exécution musicale superlative et qui tire le meilleur d'un opéra ambitieux et quand même un peu inégal.

Reste la déception de la mise en scène. Pour unique décor une toile peinte représentant la colline de Glastonbury et qui se dégradera au fur et à mesure de la représentation, image naïve des idéaux d'Arthus. Sinon, deux pans de murs d'un mobil home entourés d'un cercle d'épées fichées dans la terre symbolisant la table ronde seront posés au premier acte pour s'effondrer au troisième, tandis qu'un hideux canapé rouge façon années 60 finira par brûler au grand soulagement du public. Dans cette absence de décor triste et glauque, les hommes vont et viennent habillés comme des ouvriers de chantier (certains ont même quelques casques) et les femmes dans des robes aux couleurs criardes, hormis Genièvre pieds nus en chemise de nuit la plupart du temps. Mais de cette « transposition » tellement éculée ne naît jamais aucune image marquante, juste le malaise à la pensée que les années passées par le compositeur sur sa partition et son livret sont ainsi méprisées par le metteur en scène. La lecture du texte de qui figure dans le programme nous conforte; il eût mieux valu plus d'humilité et de fidélité à Chausson que cette « traduction » qui suscite parfois quelques rires déplacés du public. Dommage, une aussi somptueuse exécution musicale d'une oeuvre aussi rare méritait mieux.

Crédit photographique : © Andrea Messana / Opéra National de Paris

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