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Le beau voyage italien de Pelléas et Mélisande

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Florence, Opéra. 21-VI-2016. Claude Debussy (1862-1918) : Pelléas et Mélisande, drame lyrique en cinq actes et dix-neuf tableaux sur un poème de Maurice Maeterlinck. Mise en scène et décors : Daniele Abbado. Costumes : Francesca Livia Sartori. Lumières : Giovanni Carluccio. Avec : Paolo Fanale, Pelléas ; Monica Bacelli, Mélisande ; Roberto Frontali, Golaud ; Roberto Scandiuzzi, Arkel ; Sonia Ganassi, Geneviève ; Silvia Frigato, Le Petit Yniold ; Andrea Mastroni , Un Médecin, Le Berger. Orchestre et Chœur du Maggio Musicale Fiorentino, (chef de chœur : Lorenzo Fratini), direction : Daniele Gatti

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Le Maggio Fiorentino se lance dans l'aventure assez originale d'un Pelléas avec plateau, chef et metteur en scène italiens.

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L'oeuvre-phare du symbolisme musical sort pour une fois d'une sphère nationale qu'une certaine tradition a trop souvent figé dans une diction compassée façon ORTF avec nasales et r roulés de rigueur. Il serait faux cependant de prétendre que le projet aboutit à une parfaite réussite et que les spécificités de la langue de Maeterlinck se plient facilement à tous les gosiers.

Les réserves tiennent à plusieurs éléments, à commencer par l'effet conjugué de l'acoustique de l'Opéra de Florence et l'italianité des protagonistes. Cette salle est loin d'être idéale, principalement en raison d'un rapport inadéquat entre une fosse gigantesque et une scène séparée de la salle par une épaisse structure en béton. Le spectateur est tenu à distance des chanteurs dont la voix peine à percer le volume naturel de l'orchestre. Il faut un certain temps pour que l'oreille rétablisse l'équilibre et s'ajuste à la modestie de la projection du chant. D'autre part oui, toutes les scènes ne sont pas intelligibles de la même manière. La faute à une langue qui fait apparaître impitoyablement comme fautifs tous ces écarts de liaison, e trop ouverts, maîtrise approximative du tactus rythmique de cette redoutable prosodie… Impossible de se défaire de la sensation d'entendre des chanteurs sur le fil du rasoir entre soin de la ligne et du beau chant () et souci d'une diction au ras des notes (Sonia Ganassi).

Daniele Abbado sans surprise

On évoquera enfin le parti-pris rigoureusement illustratif et pictural de la mise en scène de Daniele Abbado ; option qui pourra laisser indifférents des spectateurs rompus à des visions plus modernes et présentant des enjeux volontiers perturbants ou iconoclastes (citons la très récente mise en scène de Christophe Honoré à Lyon ou bien le travail de Sven-Eric Bechtold à Zürich). Sans jamais contraindre le livret, Daniele Abbado verse dans une imagerie à la Lehnhoff ou même parfois Bob Wilson, le hiératisme scénique en moins. Le décor propose des jeux de volumes déjà croisé dans d'autres ouvrages lyriques, synthèse d'options efficaces sans pour autant lasser par manque d'imagination. Les quatre premiers actes présentent au sol une vaste étendue concave, sur laquelle vient s'encastrer un volume identique qui se referme en une vaste voûte en forme d'ogive. On pourra retrouver la référence, chère à Fritz Lang, d'un décor de fond en forme d'oeil subliminal La fontaine des aveugles est vue d'en dessous, donnant l'impression que Pelléas et Mélisande nous observent par un bel effet de perspective inversée. Ces variations d'angles se combinent à l'utilisation de toiles peintes éclairées par l'arrière, plongeant le regard dans un vertige continu et une perte de repères : tantôt la profondeur de la grotte marine, ou bien l'escalier faisant office à la fois de tour et de souterrains.

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Les lumières de Giovanni Cartuccio, tantôt rasantes tantôt crûment à contrejour, donnent un chatoiement ambigu à cette membrane abstraite dont les teintes dominantes (rouge sang, or orangé ou bien nuances très sombres et très froides) s'accordent à la psychologie des personnages. Au V, tout disparaît et Mélisande agonise dans une décor nu, simplement adossée à une toile blanche, référence croisée au lit de mort et à la toile blanche qui sert de fond à un photographe de studio. On braque sur elle un projecteur comme pour appuyer cette sensation intolérable d'interrogatoire et de viol de l'intimité.

Un plateau inégal, un orchestre au sommet

Assez performant dans le jeu d'acteurs, le plateau trouve ses limites dans la maîtrise des lignes vocales. On retrouve et Andrea Mastroni, déjà entendus dans le Macbeth parisien du mois dernier. Si le premier sait dissimuler en Golaud une voix assez frustre en nuances et en couleurs, par un jeu volontairement agressif et brutal, le second tire avantage (malgré la modestie des interventions du Médecin et du Berger) d'une pâte vocale plutôt sombre mais très bien déployée. La rugosité de ce Golaud – Gurnemanz contraste avec le Pelléas assez lisse de , dont la voix de ténor est bridée par un rôle qui lui interdit l'intention très audible de s'ouvrir à une surface vocale plus large et extériorisée. démontre une fois de plus qu'elle sait s'approprier un personnage hors des clichés (Dieu merci on ne subira ni l'image ni la voix des filandreux longs cheveux qui descendent de la tour…). La ligne semble toutefois moins soignée qu'à la Monnaie avec Yann Beuron et Stéphane Degout, sans pour autant perdre pied quand la diction de la langue fluctue périlleusement entre accélération et alanguissement. A la Geneviève assez didactique de Sonia Ganassi, on préfèrera l'Arkel étonnamment projeté et incarné de Roberto Scianduzzi. Une belle découverte : Silvia Frigato en Yniold. On aura rarement entendu ce rôle-clé chanté avec autant de naturel et de couleurs.

Satisfaction totale en ce qui concerne l'orchestre du Maggio Fiorentino sous la baguette attentive de . A la luxuriance des timbres s'accorde une ample respiration qui se mue et s'accorde à la tension narrative des scènes. On observe évoluer un matériau sonore qui mêle le souvenir ambigu et fasciné de Parsifal, souvenir sur lequel passent les volutes empoisonnées de la Lulu d'Alban Berg. Rien d'appuyé ou de démonstratif dans cette façon de parsemer le flux musical de touches diffuses et inquiétantes, choc amorti des contrebasses auxquels répond l'impeccable poudroiement des cuivres. La leçon est immense, on assiste à la naissance d'une référence.

Crédits photographiques : © Opera di Firenze 

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