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Lohengrin, baptême du feu d’Alain Altinoglu à Bayreuth

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Bayreuth. Bayreutherfestspielhaus. 27-VIII-2015. Richard Wagner (1813-1883) : Lohengrin, opéra romantique en trois actes, sur un livret du compositeur. Hans Neuenfels, mise en scène ; Reinhard von der Thannen, décors ; Marie-Luise Strandt, costumes et décors ; Franck Evin, lumières ; Björn Verloh, vidéo. Avec : Klaus Florian Vogt, Lohengrin ; Annette Dasch, Elsa von Brabant ; Jukka Rasilainen, Frederich von Telramund ; Petra Lang, Ortrud ; Wilhelm Schwinghammer, Heinrich der Vogler ; Samuel Youn, le Héraut ; Stefan Heibach, premier Seigneur brabançon ; Willem Van der Heyden, second Seigneur brabançon ; Rainer Zaun, troisième Seigneur brabançon ; Christian Tschelebiew, quatrième Seigneur brabançon. Chœur et Orchestre du Festival de Bayreuth, direction : Alain Altinoglu.

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Dernière année sur la Colline pour ce qu'il est désormais convenu d'appeler « le Lohengrin des rats » imaginé par . Après six années de présence, il reste encore quelques huées à l'issue de la représentation, mais les applaudissements finissent par l'emporter. Cette dernière soirée est marquée par le niveau très élevé du plateau et les débuts très remarqués du tout nouveau directeur musical de la Monnaie, .

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La force du consensus l'emportant sur la polémique des débuts, il est difficile pour autant de conclure à un succès sur toute la ligne pour la mise en scène. La proposition est un pur produit de ce que le Regietheater a produit de plus ascétiquement correct, mâtiné d'une sophistication manifeste dans l'art de présenter les concepts. La thématique des souris et des hommes laisse libre cours aux associations d'idées, en particulier le rapport dominant-dominé et la question déjà posée par Ionesco de l'absurdité de l'existence et des relations humaines. Étendard idéologique d'un amalgame douteux entre germanisme et chrétienté, Lohengrin porte le fardeau assez lourd de l'inscription du mythe dans l'histoire. Adieu donc, la peinture littérale d'une société du Brabant, affublée par Wagner d'une ferblanterie médiévale assez pittoresque. On lira à la place une fable imaginée, où les cobayes et laborantins s'échangent volontiers leurs rôles, l'animal pris d'une humanité contagieuse sous ses faux airs de marsupial géant. La mise en scène fait du chœur un formidable essaim vibrionnant et délicieusement écœurant, fait de rat blancs et noirs, de souris roses, etc. Cette notion de masse organique est soulignée à plusieurs reprises dans les très dispensables dessins animés de Björn Verloh. Cet univers clos, d'une propreté immaculée et lisse, se signale par l'absence des affects qui pourraient être associés à la vision incongrue de ces animaux ; si bien que le spectateur n'a des sentiments que l'enveloppe extérieure et intellectualisée. Les fausses pistes et les détournements abondent, telle cette croix démontable vers laquelle marchent les futurs mariés, le cygne plumé qui descend du ciel, les flèches dans le dos d'Elsa (façon Saint-Sébastien) ou bien le chêne moribond du roi Heinrich der Vogler…

Les rats sont la métaphore aigre-douce d'un fanatisme diffus, d'une soif du plébéien à chercher un maître à qui obéir. Leur seule présence suffit à créer alternativement un effet de miroir ou de menace. Cet anthropomorphisme par petites touches nous fait voir nos travers et nos perversions, comme si derrière la légende médiévale se dissimulait une merveilleuse leçon de chose. L'ouverture du II est de loin le moment le plus réussi, montrant le couple maudit Telramund et Ortrud avec en fond, une scène d'attaque de diligence qui a mal tourné : le carrosse aux roues brisées, avec un cadavre de cheval au milieu des malles que les rats se disputent. Théâtre de la vision ou du surgissement fantasmatique, le travail de Neuenfels laisse assez peu de prise à l'interprétation raisonnée, pragmatique et analytique.

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Seul le parallèle entre Elsa (dans tous les sens du terme « oie blanche ») et Ortrud en rivale diabolique (Saint Sébastien noir inversé), permet une lecture relativement claire des liens qui relient la mise en scène au livret. Le vide béant qui entoure la scène du récit de Lohengrin souligne le passage entre point d'interrogation et point d'exclamation – symbole un brin téléphoné de la révélation aux funestes conséquences… Peu importe que le couple s'enlace désespérément au premier plan, l'intérêt est ailleurs : l'œuf géant pivote sur lui-même, donnant à voir le monstrueux et troublant fœtus de Gottfried, le jeune frère d'Elsa. Dans un silence complet, Lohengrin s'avance vers nous alors que la lumière se coupe brutalement et que retentissent les applaudissements.

Pour ce qui est de la direction d', la proportion du geste à l'animation des scènes est remarquable.  Un peu court dans les ensembles au I, le chef français démontre dans le finale du II et l'affolement de la foule au III des qualités d'équilibre et de clarté remarquables.

livre une fois de plus un Lohengrin tout à fait exemplaire – sans doute un modèle pour des générations à venir. Réussissant l'exploit d'effacer des mémoires la prestation de Jonas Kaufmann la première saison, le ténor combine l'élégance de la projection avec les infinies nuances du timbre, c'est un régal. L'Elsa d' ne navigue certes pas sur de tels sommets, sans qu'on puisse pour autant parler de défauts rédhibitoires. Très exposée au I, la voix trouve ses marques dans l'affrontement avec Ortrud et conserve assurance et tension pour un finale quasi halluciné. Le retour de en Ortrud hystérique renvoie aux meilleurs moments entendus dès la première année de cette production. Plus à l'aise dans ce rôle que dans des formats plus lourds et endurants (Isolde, Brünnhilde…), sait comment transformer les changements de registres en feulements diaboliques. Du grand art.

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Retour en bonne forme de en Telramund et en Héraut. Si le premier fait oublier un timbre d'une qualité pas toujours optimale, le second est parfait d'un bout à autre de ses brèves interventions. Sautant du costume de Fasolt dans celui du Roi Heinrich, assure avec brio son numéro de psychotique amnésique. Toujours excellents, malgré les déplacements souvent contre-nature exigés par Neuenfels, les chœurs du Festival livrent une interprétation de rêve. A ce niveau-là, il n'y a pas de concurrence. Après trente minutes d'applaudissements et de rappels, ils se paient le luxe (rideau fermé, alors même que la salle est quasi vide) d'entonner le final des Meistersinger – moment inoubliable et d'une intense émotion.

Crédits photographiques : © Enrico Nawrath

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Bayreuth. Bayreutherfestspielhaus. 27-VIII-2015. Richard Wagner (1813-1883) : Lohengrin, opéra romantique en trois actes, sur un livret du compositeur. Hans Neuenfels, mise en scène ; Reinhard von der Thannen, décors ; Marie-Luise Strandt, costumes et décors ; Franck Evin, lumières ; Björn Verloh, vidéo. Avec : Klaus Florian Vogt, Lohengrin ; Annette Dasch, Elsa von Brabant ; Jukka Rasilainen, Frederich von Telramund ; Petra Lang, Ortrud ; Wilhelm Schwinghammer, Heinrich der Vogler ; Samuel Youn, le Héraut ; Stefan Heibach, premier Seigneur brabançon ; Willem Van der Heyden, second Seigneur brabançon ; Rainer Zaun, troisième Seigneur brabançon ; Christian Tschelebiew, quatrième Seigneur brabançon. Chœur et Orchestre du Festival de Bayreuth, direction : Alain Altinoglu.

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