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Les Contes d’Hoffmann de Marthaler en DVD

Une fois encore, dépoussière les grands chefs d'œuvre du répertoire. Servie par un plateau d'exception, sa mise en scène comptera dans l'histoire de l'unique opéra d'Offenbach.

Une mise en scène de est toujours un petit événement, et celle qui figure sur le présent DVD ne déroge pas à la règle. Issu d'une série de représentations données à Madrid en mai 2014, le spectacle que l'on considérera comme le dernier orchestré par Gérard Mortier avant sa disparition revisite entièrement l'opéra fantastique d'Offenbach et dépoussière près d'un siècle et demi de tradition.

Située dans un décor unique – espace à la fois bar, brasserie et atelier d'artiste volontairement inspiré du cadre Art déco du fameux Circulo de las Bellas Artes de Madrid –, l'action met en lumière le véritable enjeu de l'ouvrage, à savoir le combat mené par La Muse / Nicklause afin de ramener sur le droit chemin son poète égaré dans une vie de débauche consacrée aux amours tumultueuses. Le choix de l'édition Fritz Oeser (1976) qui, contrairement à l'habituelle et plus courte version Choudens, privilégie le double rôle de ce personnage central, entretient la thématique de l'assèchement de l'inspiration que suggère déjà le choix d'un décor évoquant un espace dédié à l'art, à la création mais aussi à la consommation. Certes, la captation vidéo n'éclaircit pas toujours ce que le spectateur pourra percevoir comme d'inutiles gesticulations – des garçons de café virevoltant dans des contorsions acrobatiques, des femmes nues se relayant pour poser devant un peintre omniprésent, des groupes de touristes désenchantés visitant un lieu emblématique de la ville… – mais le déroulement du spectacle finit par donner sens à certaines de ces images déroutantes. On découvre ainsi que le personnage qui, dès le prologue, traverse le plateau muni de membres humains écartelés n'est autre que Spalanzani, déjà occupé à la fabrication de sa fille. À la fantasmagorie, aux maléfices et à la pseudo-magie de la tradition succède ainsi une série de visions d'épouvante liées aux affres et aux tourments de la création. Un défilé de chairs qui s'exhibent, des amas de corps disloqués, des personnages qui s'écroulent sur le plateau, tout cela entretient une vision d'horreur qui se voit fort heureusement atténuée par la présence d'éléments burlesques qui atténuent le sentiment d'angoisse et de malaise suscité par la mise en scène.

Musicalement, le spectacle remporte l'adhésion grâce notamment à l'excellente direction de , qui connaît mieux que personne une partition que visiblement il affectionne. Dommage néanmoins qu'il nous ait privés du septuor de l'acte d'Antonia. En Hoffmann, l'Américain fait valoir une voix savamment conduite et une lecture musicale irréprochable. Vito Priante est lui aussi excellent dans les quatre rôles dits diaboliques ; sa jeunesse et son physique avantageux font de lui un rival en amour tout à fait convaincant, et si son chant manque un peu de puissance, il est en revanche aussi stylé que celui de son partenaire. est quant à lui un valet moins bouffon que d'habitude. Saluons encore, parmi les protagonistes masculins, la présence d'un certes à bout souffle mais particulièrement émouvant en Crespel. Chez les dames, est une Olympia aux aigus puissants et percutants, mais à la vocalise brouillone. , doté d'une timbre et d'un vibrato pulpeux, s'avère quant à elle bien meilleure en Giuletta qu'en Antonia, dont elle n'a ni le trille ni les aigus. Son soprano éminemment dramatique ne convient pas du tout à un rôle aussi lyrique. , enfin, casse la baraque en Muse / Nicklause, et cela en dépit d'une voix considérablement usée. Son jeu ambigu, son portrait bouleversant d'un personnage à la fois passionné et désenchanté, la musicalité dont elle fait preuve à chaque instant font d'elle le pivot essentiel de la relecture de Marthaler. De façon générale, tous les interprètes sont investis à 100% dans une interprétation qui, à n'en pas douter, fera date dans l'histoire du chef d'œuvre d'Offenbach.

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