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A Genève, Charles Dutoit raconte Ravel

Beau cadeau musical pour les Genevois avec les concerts que vient de donner coup sur coup dans la cité de Calvin où, quelques jours après avoir dirigé son Royal Philharmonic Orchestra dans le monument berliozien « Les Troyens» en deux soirées, il brille à nouveau à la tête de l' pour une soirée lyrique avec .

Pour ce concert, on a mis les petits plats dans les grands avec, outre la fameuse phalange romande, le Chœur du Grand Théâtre de Genève et les enfants de la Maîtrise du Conservatoire Populaire de Musique, huit excellents solistes pour donner une version de concert des petits opéras L'Heure Espagnole et de L'Enfant et les sortilèges.

Le livret de L'Heure Espagnole raconte l'aventure d'une femme volage qui profite de la courte absence de son mari horloger pour recevoir son amant sauf que ce jour-là, un client venant faire réparer sa montre fait capoter la rencontre amoureuse. S'ensuivent des situations rocambolesques dans l'esprit des pièces de Georges Feydeau, un esprit théâtral très en vogue au début du siècle dernier. La musique de Ravel pour cette comédie musicale est d'une variété de timbres continuelle. La version de concert permet d'en apprécier toutes les subtilités, l'auditeur n'étant pas perturbé par l'action scénique. Et s'emploie avec beaucoup de sensibilité à soigner rythmes et mélodies pour raconter cette partition. Il faut dire que, ce soir, l' est très talentueux.

Chez les solistes, certains chantent et d'autres racontent. La légèreté du propos théâtral laisse la part belle aux seconds. C'est ainsi qu'on apprécie l'humour vocal du baryton (Don Inigo) qui déclenche les rires avec son talent d'acteur qu'il ne réfrène pas. La courte apparition du ténor (Torquemada) révèle l'insolence d'un rare talent. Avec sa diction impeccable, la clarté du timbre, l'aisance vocale, les aigus éclatants, il est immédiatement le personnage. Avec lui, son charisme, pas besoin de mise en scène. Si le ténor Julien Behr (Gonzalve) offre une interprétation d'un beau lyrisme, si le baryton Elliot Madore (Ramiro) jouit d'une belle prestance vocale, la mezzo soprano (Concepciòn) a tendance à jouer son rôle avec des accents de la comédie américaine plutôt qu'avec ceux, plus distingués de la française.

Avec L'Enfant et les sortilèges, la baguette de fait merveille. Certes, la partition de Ravel, le livret est plus porté sur le rêve que sur la comédie de genre, mais que de belles couleurs le chef suisse tire de cet visiblement heureux d'interpréter une musique qui, depuis sa fondation, semble toujours avoir sa préférence. Quels beaux violons ! Et l'humour des cuivres, comme ceux des bois ! On en viendrait presque à affirmer que l'orchestre raconte mieux que le texte de Colette ! Reste que devant l'orchestre, les chanteurs rivalisent d'esprit pour aviver les mots. Ainsi, on retrouve avec un très grand bonheur (La Théière, Le Petit Vieillard, La Rainette), irrésistible dans « L'Arythmétique ». Débordant d'humour, le baryton (Le Fauteuil, Le Chat) régale l'assemblée avec ses hilarants miaulements qu'il partage avec (La Chatte, L'Ecureuil) vocalement beaucoup plus convaincante qu'en première partie de soirée. Dans cette partition, l'importance de la langue est remplacée par l'intonation de la parole. A ce jeu, la soprano coréenne (Le Feu, Une Pastourelle, La Princesse, Le Rossignol) brille de ses aigus stratosphériques. Plus dans la tradition opéristique, la très belle voix de la soprano (L'Enfant) se contient dans le lyrisme de l'enfant rêveur alors que la mezzo-soprano polonaise (La Maman, La Tasse chinoise, La Libellule, Un Pâtre) charme l'auditeur avec son instrument aux couleurs sombres et son irréprochable diction.

Une grande soirée de l'Orchestre de la Suisse Romande dans une musique qui, si elle est moins spectaculaire que les grandes pages symphoniques de la période romantique –ce qui expliquerait des applaudissements moins démonstratifs qu'à l'habitude-, a été illustrée avec élégance et finesse.

Crédit photographique : Charles Dutoit © Chris Lee

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