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La musique coréenne à l’honneur à Paris

La musique coréenne d'aujourd'hui était à l'honneur le week-end dernier avec deux soirées somptueuses où compositeurs et interprètes coréens étaient conviés sur la scène parisienne.

En collaboration avec l', le Festival d'Automne poursuit, à la Philharmonie de Paris cette fois, le portrait qu'il consacre cette année à la compositrice coréenne Unsuk Chin. À 18h30, elle répond aux questions de Martin Kaltenecker et Frank Harders lors d'un concert-rencontre qui prélude à une soirée entièrement coréenne. Le lendemain, à l'Auditorium du CRR de Paris, cède sa place au jeune chef et à l' (émanation du Tongyeong International Music Festival) qui découvre un large pan de la création coréenne affichant quatre générations de compositeurs.

Elève de en Corée puis de à Hambourg, Unsuk Chin vit aujourd'hui à Berlin et mène une carrière internationale, y compris dans son pays d'origine où elle collabore avec l'Orchestre Philharmonique de Séoul. Son Doppelkonzert pour piano, percussion et ensemble, inscrit au programme de la première soirée, est une oeuvre emblématique de la compositrice, qui la révèle au public parisien en 2003, année où l'EIC, co-commanditaire de l'oeuvre, la créée avec au piano et aux percussions.

Situés à jardin et à cour, ce sont Sébastien Vichard et le même , au centre d'un dispositif de percussions pléthorique, qui assurent les parties solistes, aux côtés de l' et du chef Tito Ceccherini. La compositrice a placé de petites pièces de métal entre les touches du piano pour fondre les couleurs du clavier préparé à celles de la percussion. Procédant par relais instrumentaux et surimpressions de timbre qui hybrident les sonorités, Unsuk Chin cherche à lier solistes et ensemble en un « corps unique ». L'univers sonore extrêmement foisonnant sollicite l'énergie du geste – celui des solistes est hallucinant – et la cinétique des trajectoires sonores. La tension qui s'en dégage et l'éclat des couleurs sont très impressionnants, relevant d'un savoir faire et d'une virtuosité hors norme. La très belle coda laisse transparaître le côté félin et facétieux d'une écriture toujours finement ciselée.

Sa seconde pièce pour ensemble, Graffiti, a été créée en 2013 par le Los Angeles Philharmonic sous la direction de Gustavo Dudamel. On y retrouve à l'œuvre l'hyperactivité d'une musique sous tension et l'effervescence d'une écriture s'inspirant ici du phénomène du Street Art. Après Palimpseste, un premier mouvement d'une écriture extrêmement fouillée et cursive, Notturno urbano prend des allures plus spectrales, semblant parfois évoquer le sheng (orgue à bouche traditionnel) et ses spirales sonores. Le dernier mouvement Passacaglia et sa « basse obstinée » est un exutoire à la virtuosité quasi obsessionnelle recherchée par la compositrice et transcendée ce soir par les forces de l'EIC.

Le programme affiche les œuvres de deux autres compositeurs. De Sun-Young Pagh (compositrice) d'abord, Ich spreche dir nach tente de « dire » en musique les mots de la poétesse néerlandaise Rozalie Hirs. Chuchotés par les instrumentistes, ces mots nous parviendront in fine à travers les haut-parleurs. Des figures sonores cernées par le silence habitent un univers onirique alliant violence du geste et raffinement des timbres, comme ce tintement délicat des bols coréens sur la peau de la timbale ou les sons éoliens de la flûte, plus intimistes encore et poétiques.

En création mondiale enfin, Yo du jeune est une commande d'Unsuk Chin et du Festival d'Automne. L'œuvre est un hommage à Jorge Luis Borges, une sorte de portrait de l'écrivain argentin en plusieurs « tableaux » renvoyant à cinq de ses écrits. Cette musique ludique et émaillée d'humour relève d'un imaginaire foisonnant qui sollicite les ressources d'une percussion très colorée. Si toute référence à la musique asiatique semble bien absente, l'élan énergétique et sans contrainte qui s'exerce dans la pièce n'est pas sans rappeler l'univers de sa compatriote et commanditaire Unsuk Chin.

Un échange franco-coréen

L'invitation du TIMF sur la scène de l'Auditorium du CRR de Paris est le fruit d'un échange franco-coréen qui permettra à l'ensemble 2e2m de se produire à Séoul et à Tongyeong en mars et avril prochains. Dirigé ce soir par l'excellent , formé à l'école du Maître Chung, le TIMF, fondé en 2001, est une jeune phalange qui aborde tous les répertoires et s'engage tout particulièrement à défendre la création coréenne et internationale.

Deux oeuvres rendent un hommage appuyé à , un pionnier de la musique coréenne moderne qui s'installe en Allemagne dans les années 70. C'est , violoniste émérite de 2e2m et seul musicien occidental à relayer ce soir l', qui s'empare du Königliches Thema (1976). Dans cette pièce redoutable pour violon seul, le compositeur coréen reprend le thème bien connu de l‘Offrande musicale de Jean-Sébastien Bach, qu'il revisite à sa manière, en modifiant les éclairages et la conduite mélodique sans jamais s'écarter des points d'ancrage fondamentaux de l'écriture originelle. Dans Oktett (1978) pour quintette à cordes et trois instruments à vent, superbement défendu par l', le violoncelle joué avec un plectre suggère très furtivement les sonorités de la cithare coréenne.

Buru pour voix et ensemble de , maître d'Unsuk Chin, est la seule pièce du programme à invoquer la musique traditionnelle de Corée et sa dimension rituelle. La longue mélopée chantée par la merveilleuse soprano Hye Jung Kang évoque « la route vers l'harmonie artistique » suivie par les hwarangs, élite civile et militaire de la Corée. Sonnailles, gongs et cymbales ponctuent cette incantation, relayée ou soutenue par les instruments.

Présente dans la salle, est une autre élève de . Elle a poursuivi ses études au CNSM de Lyon avec Gilbert Amy puis à Paris où elle suit l'année de cursus de l'Ircam. Dans Intoxication, une pièce de 2015, l'écriture cursive laisse apprécier les coloris instrumentaux d'un ensemble aussi homogène que réactif. Les mêmes qualités se retrouvent dans Moments Musicaux II du jeune travaillant quant à lui en Corée. La dramaturgie est à l'œuvre dans cette pièce bien conduite qui nous fait traverser des horizons variés, entre vitalité rythmique, lyrisme et couleurs spectrales.

Unsuk Chin est également à l'honneur dans cette soirée avec snagS&Snarls, une suite de cinq miniatures pour voix et instruments. C'est une étude préparatoire à son opéra Alice in Wunderland qui a été créé à Munich en 2007. On sent d'emblée l'adéquation entre l'univers de Lewis Carroll et le geste fantasque et félin de la compositrice qui enchante chacun des épisodes de l'histoire. Agile et sensuelle, sinon très puissante, la voix de la soprano Hye Jung Kang, que l'on retrouve sur le devant de la scène, se plie à toutes les fantaisies de la ligne vocale. Cri, grognement et autres paroles en l'air colorent le flux mélodique auquel l'écriture instrumentale offre un écrin aussi léger qu'étincelant.

Crédits photographiques : EIC © Luc Hossepied; Ensemble TIMF © DR

 

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