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Les Belcea au sommet illustrent la seconde école de Vienne

Après leur magnifique intégrale Beethoven (enregistrée live et disponible soit en CD chez Zig-Zag Territoires soit en DVD chez Euro arts) et avant leurs Brahms d'ores et déjà en boîte, le Quatuor Belcea nous gratifie de sa première galette consacrée à la seconde école de Vienne : Schoenberg, Berg et Webern.  Elle ravira autant les fervents connaisseurs de la « trinité » viennoise que le mélomane curieux encore intrigué par cette somptueuse musique. 

Une bonne moitié du généreux programme ici réuni est d'ailleurs solidement ancrée dans les derniers feux du romantisme, avec la Nuit transfigurée d' (1899) ou le mouvement lent isolé du jeune Webern (1905). On tient avec les cinq brefs Mouvements op. 5 du même Webern, à l'atmosphère tantôt expressionniste, tantôt raréfiée, l'une des premières grandes réussites de la musique atonale ; la Suite lyrique d' est, malgré les sortilèges et la complexité de son écriture composite, le brûlant et passionné journal intime d'un amour impossible du compositeur pour Hanna Fuchs-Werfel (alors la belle-sœur d'Alma Mahler), comme nous l'indiquent quelques citations sans équivoque, par exemple le début du prélude de Tristan et Isolde dans le « Largo desolato » final, ou un court passage de la Symphonie lyrique de Zemlinsky en exergue du quatrième mouvement.

D'emblée ce disque nous saisit à la gorge par la sonorité pulpeuse et charnelle du violon et sans aucun vibrato exacerbé de Corina Belcea, laquelle irradie tout le mouvement lent de Webern de sa chaleureuse personnalité sans pour autant écraser celle de ses partenaires. Les cinq Mouvements op. 5 de Webern connaissent sans doute ici leur enregistrement de référence dans leur version originale pour quatuor, par la félinité des contrastes, par le côté acéré des deux mouvements vifs (I et III), le dosage infinitésimal  des nuances dans les trois autres, lents, ou encore par la subtilité du jeu instrumental tant individuel que collectif : cette œuvre retrouve ainsi, malgré sa relative brièveté et sa discontinuité, un galbe, une chair, une plénitude, voire un lyrisme qui lui manquaient parfois dans des approches plus cérébrales, telles celles du Quatuor Emerson (DGG) ou du Quatuor Arditti (Montaigne ou Bmn) ; de plus la perfection instrumentale ici déployée n'a rien à envier à celles du Quartetto italiano (Decca) ou Artis (Nimbus).

L'approche des Belcea de la Suite lyrique de Berg nous semble un peu plus discutable : les mouvements impairs (de plus en plus vifs) sont relativement bridés par l'observation maniaque des nombreuses indications et intentions de la partition, au détriment du geste global, que l'on souhaiterait parfois plus viennois, dans l' »Allegretto giovale » augural, avec ses relents de laendler ou ses bribes de valses, ou de plus en plus véhément dans le « Presto delirando ». Par contre au fil des trois mouvements lents pairs, joués dans des tempos plus retenus qu'à l'accoutumée, se tisse ici une atmosphère arachnéenne ou nocturne, proche des mouvements lents des plus grands quatuors bartokiens, ce qui n'est nullement un contre-sens : rarement l'illusion cinétique des premières mesures du « Largo desolato » final aura été aussi bien rendue, et les ultimes pages menant à la déclinaison finale résolvent ici les tensions de l'œuvre par un trouble quasi panique face au silence. Mais malgré les réelles beautés de cet enregistrement, nous gardons une préférence pour la seconde version du Quatuor (Warner) ou la toute récente et superlative gravure du quatuor Tetzlaff (Avi Music), plus éloquentes par leur passion et leur engagement.

Pour terminer en beauté, l'effusion de la Nuit transfigurée op. 4 de Schönberg nous transporte à nouveau vers les sommets. Pour ce sextuor « à programme », les Belcea sont rejoints par Nicolas Bone, altiste de très haut rang et  professeur au CNSM de Paris, et par l'excellent , magnifique chambriste, entre autres dernier violoncelle en date du Beaux-Arts trio. On ne sait qu'admirer le plus : la beauté transcendante des phrasés, le legato ample, la variété des climats, le respect absolu de la partition, la sonorité ample de l'ensemble. Rien ne fait regretter ici les fastes de la version pour grand ensemble de cordes d'un quart de siècle postérieure. Les versions récentes de l'original pour sextuor à cordes, des Prazak (Praga), ou des amis chambristes réunis autour de Janine Jansen (Decca), malgré leurs réelles qualités, semblent en regard bien pâles, plus proches d'un Tristan de boudoir que de la brûlante confession proposée par les Belcea. Seule peut-être l'ancienne mais magnifique version du Hollywood String Quartet et leurs partenaires (Testament) atteint ce degré d'intensité dans cette atmosphère de serres chaudes.
En conclusion, un maître-disque, peut-être à ranger de préférence à Schönberg.

 

 

 

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