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Grand soir Aperghis pour les 70 ans du compositeur

L' fête les soixante-dix ans du compositeur et lui consacre un Grand soir conçu à son image, festif d'abord, avec ses entractes surprise, mais aussi foisonnant, labyrinthique et théâtral assurément.

Aux côtés de ses aînés, Boulez, Berio, Lachenmann, et des benjamins, Tejera et Edler-Copes, tous deux brésiliens, deux œuvres relativement récentes du compositeur mettent sur le devant de la scène le pianiste et la chanteuse .

La soirée débute au quart de tour avec l'opus 1 de , sa Sonatine pour flûte et piano (1946), où s'exercent tout à la fois la rigueur formelle et la combinatoire sérielle qu'il vient de découvrir. Complice du piano fluide autant que rageur de , est souveraine au sein d'une œuvre qu'elle a fait sienne et qu'elle gorge d'une tension électrisante. Énergétique et pulsée, la musique de maintient l'écoute captive. L'EIC donne en création la nouvelle version de Falshforward I du compositeur brésilien, sous la direction très investie du chef suisse invité . Pour clore la première partie de cette grande soirée, c'est , impérial, qui est au piano solo dans Champ-Contrechamp (2010) de . Ce n'est pas à proprement parler un concerto, même si la virtuosité y est engagée ; mais davantage une conversation très animée entre les familles d'instruments et le soliste, relayé d'ailleurs par un autre piano pour assumer ses « coups de gueule » éventuels. Maître du théâtre musical, écrit pour les instruments comme pour les voix qu'il met en scène, jouant avec les notes comme avec les mots. Il élabore dans Champ-Contrechamp une palette de timbres et de registres multiples suggérant autant de personnages imaginaires tissant une sorte de récit aussi labile qu'énigmatique.

La seconde partie s'ouvre avec la pièce du Brésilien qui a été l'élève de Georges Aperghis à la Hochschule der Künste de Berne. Como el aire (2007) convoque un ensemble atypique (harpe, accordéon, flûte, clarinette, alto, violoncelle) disposé symétriquement autour de la percussion. Très séduisante, la pièce aux allures spectrales déploie un éventail spectaculaire de couleurs dont on perçoit toutes les métamorphoses, jusqu'à la raréfaction extrême de la matière sonore.

Avec son violoncelle qu'il joue debout (une première !), Éric-Maria Couturier nous convie ensuite à une expérience d'écoute étonnante autant que radicale, en exécutant par cœur Pression d'. L'œuvre écrite en 1969 est emblématique de ce que le compositeur allemand nomme « la musique concrète instrumentale ». Il s'agit d'une auscultation sonore du corps de l'instrument, donnant à entendre frottements, crissements, coups légers, distorsion du son sous l'effet de la trop grande pression de l'archet… bref tout un univers bruiteux, parfois presque inaudible, qui nous fait tendre l'oreille vers le phénomène sonore. C'est à cette qualité d'écoute, dans une salle des concerts bondée, que parvient notre violoncelliste aventurier, à la faveur de la précision de son geste et de la tension active de son jeu sur un violoncelle devenu objet de découverte.

Sixième pièce au programme, Calmo de pour mezzo-soprano et vingt-deux instruments fait apparaître une première fois , pieds nus, telle une divinité orientale, avec grelots aux chevilles et aux poignets. Comme Rituel de , Calmo, assez rarement jouée sur la scène française, est une pièce fascinante, aux allures de cérémonial, écrite à la mémoire de Bruno Maderna, ami et collaborateur de Berio. Ce dernier réunit des textes du Cantique des cantiques, d'Edoardo Sanguinetti, d'Homère…. traduits en italien. Le jeu d'impacts sonores des instruments, incluant en seconde partie une trompette spatialisée, n'est pas sans rappeler O King, autre pièce de déploration sur la mort de Martin Luther King. Gracieuse et féline sur le devant de la scène, chante la mélopée expressive de Calmo tout en assumant la partie gestuelle et sonore prévue par Berio dans ce rituel imaginaire.

Contretemps, la seconde pièce de Georges Aperghis qui ponctue ce grand soir, est écrite pour la voix de Donatienne Michel-Dansac, égérie du compositeur, qui en assure la création en 2006. L'œuvre, de grande envergure et haute en couleurs, consacre le travail incessant du compositeur avec le langage et la communication impossible des êtres (ici chanteuse et instruments) embarqués dans des joutes sonores infernales. Souvent en voix de tête, fragile autant que drôle, Donatienne Michel-Dansac, inimitable, lance des bribes de phrases dénuées de sens auxquelles répondent le pépiement étranglé des cordes, la voix laryngée de la clarinette ou de l'accordéon, le bougonnement des deux pianos, ou encore l'émission délicate des mokubios qu'affectionne particulièrement le compositeur. Pas de mise en scène pour cette dramaturgie de l'écoute où voix et instruments se confondent en un maelström sonore et labyrinthique, qu'Aperghis donne à entendre autant qu'à déchiffrer.

Crédits photographiques: / Luc Hosssepied

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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