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L’art poétique de Chopin selon Nelson Goerner

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Frédéric Chopin (1810-1849) : Polonaise op. 44. Berceuse op. 57. Barcarolle op. 60. 24 Préludes op. 28. Nelson Goerner, piano. 1 CD Alpha Classics 224. Enregistré le 15 août 2015 au centre Penderecki de Luslawice. Texte de présentaton trilingue (français, anglais et allemand) . Durée : 58′ 57″

 

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Quel plaisir de retrouver au mieux de sa forme dans , un compositeur où il a toujours excellé !

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Certes, le pianiste argentin réfléchit, pense ses interprétations dans les moindres détails – il a même tâté de l'instrumentarium d'époque dans ce domaine (ballades, mélodies, œuvres concertantes  avec Frans Bruggen chez NIF), ce qui se ressent dans le « piqué » des accents. C'est aussi un technicien à l'exigence presque maniaque, à la finition brillante et raffinée pour chacune de ses réalisations discographiques, parfois d'ailleurs au détriment d'une certaine spontanéité dans ses récents albums Debussy ou Schumann pour le même éditeur Alpha.

Ce disque, enregistré sans  flatterie inutile dans une acoustique assez intimiste malgré l'ampleur de l'auditorium Penderecki, est conçu comme un petit récital : il démarre en fanfare, avec cette cinquième polonaise où il est si facile d'en faire des tonnes ; mais, sous ces doigts avertis, il s'agit d'un voyage initiatique au gré des atmosphères changeantes, savamment dosées. Rarement, par exemple, la réminiscence de mazurka centrale aura-t-elle semblé aussi vaporeuse, distante, rêveuse avant  le retour « ici-bas » de la conclusion plus martiale.

Nous restons sur les mêmes cimes pour la Berceuse, où l'équilibre entre les mains, l'agilité digitale, l'éclairage diaphane des contre-chants, la sonorité fondante, la rigueur de l'articulation, le respect des phrasés relève du grand art.

Autre sommet, la « mystérieuse  apothéose » (Ravel dixit) de la célèbre Barcarolle op. 60, ici jouée au naturel sans afféterie ou effets de manche déplacés : elle semble envoyée d'un seul geste, dans une subtilité agogique – quelle main gauche ! – et une maîtrise du rubato superlatives; certes, certains contrastes dynamiques sembleront un peu gommés pour les partisans d'une version plus dramatique ou emportée (Martha Argerich, Stephen Kovacevich). Goerner préfère d'autres voies, celles du cantabile ou du sotto voce, dans la descendance de grands enregistrements historiques comme celui de (Warner), auquel la présente version fait irrésistiblement penser.

Mais la merveille absolue de ce disque, ce sont les 24 préludes de l'opus 28. Certes ce cycle a beaucoup de chance au disque ces temps derniers : Daniil Trifonov (live au Carnegie Hall, DGG), le magnifique et original Andrew Tyson (Zig zag), et dans une moindre mesure Maxence Pilchen, passionnant mais plus inégal (Paraty).

Ce cheminement dans les 24 tonalités du total chromatique inspire particulièrement : la pédale subtilement dosée propulse d'emblée, par une respiration idoine, l'ut majeur augural. Les préludes les plus fulgurants par leur brièveté – le cinquième, le quatorzième – trouvent d'emblée le ton juste, là où d'autres pianistes les expédient. Les plus nocturnes (le deuxième, le quatrième, le sixième, le quinzième) laissent sourdre un spleen désespéré ou une angoisse abyssale. On admire le babil mordant mais sans précipitation d'un troisième parfaitement articulé, la célérité des huitième, dixième ou seizième, tourmentés sans tomber dans la caricature (cf. Martha Argerich, DGG). Puis il y a ces détails que Goerner se plait souvent à souligner : la petite note grave de la main gauche, tel un glas, qui vient ponctuer la réexposition du dix-septième (à partir de 1′ 45 »), le decrescendo central du vingtième, les contrechants de la main gauche du vingt-deuxième. Et surtout, au-delà de la foison des intentions dans ce dédale kaléidoscopique, il y a ce souci du grand souffle global, cette profonde unité, tantôt rieuse, tantôt ténébreuse qui transforme ces vingt-quatre instantanés en un véritable « art poétique », portrait judicieux du compositeur comme de son interprète inspiré. Un très grand disque !

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Frédéric Chopin (1810-1849) : Polonaise op. 44. Berceuse op. 57. Barcarolle op. 60. 24 Préludes op. 28. Nelson Goerner, piano. 1 CD Alpha Classics 224. Enregistré le 15 août 2015 au centre Penderecki de Luslawice. Texte de présentaton trilingue (français, anglais et allemand) . Durée : 58′ 57″

 
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