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Sokolov dans la lumière

Deutsche Grammophon publie un nouveau disque live de un an après The Salzburg recital, référence indispensable du maître russe. Le programme s'articule cette fois-ci autour de Schubert enregistré en mai 2013 dans la Salle philharmonique de Varsovie puis de Beethoven, Rameau et Brahms captés quant à eux au Festival de Salzbourg 2013.

Mêmes ingrédients que pour l'enregistrement précédent : nous sommes en présence d'un artiste qui ne connaît pas de faiblesses digitales et se situe dans une quête d'absolu. Rien n'est laissé au hasard et pourtant, son jeu, profondément sincère, déploie une fluidité constante. A travers l'ensemble des répertoires joués, le piano projette un spectre de nuances extrêmes tandis que le dosage minutieux des dynamiques et des tempi porte loin le discours. Pour chaque œuvre, certains passages nous entrainent, sans prévenir, dans des décrochages émotionnels dont l'intensité se révèle bouleversante.

Entre ombre et lumière, Schubert frappe ainsi par sa modernité notamment à travers ses Klavierstücke ou le premier impromptu, poignants de beauté. La seule déception du disque viendra des deux derniers impromptus avec un recours quasi systématique à un forte très dur, totalement ‎inexpressif. Dans le sol bémol majeur, le chant initial martèle avec véhémence le clavier. Le phrasé se retrouve ainsi faussé car nous n'entendons presque plus que cette note heurtée au détriment de l'harmonie d'ensemble. A un tel niveau d'interprétation et d'exécution, cela semble incompréhensible. ‎ Avec la redoutable Hammerklavier, Sokolov laisse en revanche parler toute sa science digitale. L'unité d'ensemble est agencée avec contraste et cohérence. De bout en bout, l'équilibre des voix de la Fugue captive. Quant au Largo, il reste le moment de grâce du disque. Le temps semble soudain suspendu en apesanteur. Cette version-là a sa place auprès des références du genre dans le cercle fermé des Richter, Brendel, Pollini…

Vient ensuite une série de bis qui constitue un choix des plus réjouissants dont Rameau et un cycle de pièces écrites à l'origine pour clavecin. ‎Sonorité charnue, toucher délié, une main gauche qui « swingue »… La partition prend vie avec immédiateté à l'image des Cyclopes ou les Sauvages, confondants de fraîcheur. Le pianiste efface le superflu pour ne s'intéresser qu'à la ligne mélodique, irrésistible avec ses envolées rythmiques et expressives.

Le dernier bis, l'Intermezzo n°2 de Brahms est tout simplement renversant de profondeur et de mystère. De là à dire que cette pièce justifierait à elle seule l'acquisition de cet enregistrement, il n'y a qu'un pas. Le choix idéal du tempo permet une respiration d'ensemble qu'on aimerait entendre bien plus souvent. Le phrasé étiré sublime le ton confidentiel mais aussi la polyphonie de Brahms dans ses moindres silences. La chaleur du live nous donne par ailleurs l'impression d'être présent dans la salle.
Malgré les questions suscitées par certains aspects de l'interprétation des pièces de Schubert, ce double disque consacre un artiste hors norme et a le mérite d'avoir su conserver une trace d'un moment musical d'exception.

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