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Andrea Bocelli est-il un artiste ?

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. Un sujet qui, au simple énoncé de son nom soulève la polémique. Depuis des années, les gazettes se déchaînent sur la légitimation du ténor toscan dans le landerneau de l'art lyrique.

Le crime de lèse-majesté que les réactionnaires de la musique classique ne supportent pas se nicherait-il dans l'énorme succès commercial du ténor ? Parce que les chiffres sont éloquents. Avec plus de 150 millions d'albums vendus, Bocelli caracole en tête des ventes de la musique classique. En deuxième place, la mezzo-soprano romaine ne peut se vanter que d'une petite douzaine de millions d'albums ! Certes, les enregistrements d' n'embrassent pas que la musique classique. Ni d'ailleurs ceux d' ou de Luciano Pavarotti.

Ce succès commercial indéniable en fait-il pourtant un artiste ?

Il ne viendrait à l'idée de personne de nier qu'Edith Piaf, Jacques Brel, , Serge Gainsbourg, Barbara ou ne sont pas des artistes. Ni d'ailleurs de le dire de , Luciano Pavarotti, , Victoria di Los Angeles, , , ou . Et plus près de nous de .

Quel est donc le point commun entre tous ces artistes (dont la liste n'est certainement pas exhaustive) ? Leur notoriété ? Certes non, puisqu'elle n'est que le résultat de leur point commun. Et ce point commun, c'est le son de leur voix. Même avec une écoute inexpérimentée, il est impossible de ne pas reconnaître la voix de l'un ou de l'autre de ces chanteurs. Trois ou quatre notes suffisent à les identifier.

Et alors  ? Qu'il chante son succès « Con te partirò » ou « Che gelida manina » de La Bohème de Puccini, sa voix est immédiatement reconnaissable. Alors, que valent ces polémiques au sujet de ce chanteur que tant de « spécialistes » n'ont jamais voulu accepter ? D'avoir d'abord forgé son premier succès avec une rengaine aux accents estivaux de bords de mer italiens avant de se faire connaître dans l'art lyrique n'a certes pas aidé à sa popularité au sein de la « musique sérieuse ». Jusqu'ici, les grands chanteurs commençaient à l'opéra puis se lançaient dans la chanson. Andrea Bocelli a fait la route inverse.

Dès lors, on a tôt fait de juger le chanteur. L'argument mis immédiatement en avant se référait à la prétendue puissance limitée de sa voix. À la sortie de son premier album lyrique, « Viaggio italiano » enregistré en 1995, les critiques anglo-saxons louaient la qualité d'une voix claire mais relevaient la petitesse de son volume. À cette époque, personne n'avait entendu Andrea Bocelli « live » ! Tant pis pour le choc évident que cet album génère auprès du public et chez quelques critiques, la réputation du ténor de chansonnettes osant se frotter au répertoire lyrique est établie. Une réputation qui va le poursuivre pendant plusieurs années, quand bien même (et peut-être à cause) la vente de ses albums continue de bousculer toutes les statistiques.

Certes le triomphe commercial du ténor toscan est une manne dont les producteurs ont largement profité. Reste l'artiste. Sa production discographique imposante compte plus d'albums de musique lyrique que de variété. Outre onze opéras complets et six disques de récital, Andrea Bocelli est le ténor du Requiem de Verdi sous la direction de Valéry Gergiev. Quand on sait qu'à ses côtés, se trouvent la soprano , la mezzo et la basse Ildebrando D'Archangelo, on peut bien penser que le ténor n'a pas été choisi aux seules fins de la vente de cet enregistrement.

Et puis, si on peut imaginer que a accepté d'être son professeur de chant pendant plusieurs années par besoins économiques, Luciano Pavarotti était au sommet de son art quand il a pris Andrea Bocelli sous son enseignement. Et ce n'est pas par effet commercial que dirige son album « Aria » en 1998, ni que le chef coréen Myung-Whun Chung le dirige dans « Arie sacre » et dans le coffret de Carmen de Bizet.

Aujourd'hui, plus de vingt ans après ses débuts, la voix d'Andrea Bocelli reste toujours aussi belle même si elle laisse apparaître quelques signes de fatigue. Peu de ténors peuvent se targuer d'une aussi longue et pareille carrière. Encore en parfaite santé vocale, l'an dernier, Andrea Bocelli enregistrait le Calaf de Turandot. Une interprétation saluée par la critique.

Mais ses succès, ses excellentes appréciations n'ont guère eu les mêmes échos auprès de certains critiques ! Étrange, de la part de ces chantres du goût. Est-ce la concurrence d'un qui freine certains à admettre les qualités artistiques d'Andrea Bocelli ? Celui qui, un jour, a décrété que Andrea Bocelli n'était pas un artiste a aujourd'hui beaucoup de peine à revenir sur son jugement. Et pourtant ! Un peu d'humilité, un atome d'objectivité, une écoute un peu plus fine du ténor, le contraindraient à admettre l'évidence. Andrea Bocelli est un artiste !

Allons, Messieurs les censeurs, un petit effort. Écoutez son magnifique legato dans « Dalla paterna mano » du Macbeth de (« Viaggio Italiano » enregistré en 1996), son généreux et brillant « Di quella pira » (Il Trovatore enregistré en 2004), son extraordinaire interprétation du rôle-titre d'Andrea Chénier de Umberto Giordano (2007), ou son touchant « Non piangere Liù » du Turandot de Puccini (2014) et son très beau Des Grieux de Manon Lescaut de Puccini (2014). Peut-être alors reviendrez-vous à de meilleurs sentiments concernant Andrea Bocelli !

 

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de la rédaction.

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