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Monumental et impérieux Clavier bien tempéré par Christophe Rousset

Deux ans après avoir fait paraître pour le même éditeur Aparté le second cahier de 1744,  a enregistré le premier recueil du Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach (1722), sur le même clavecin Rückers (1628) du château de Versailles. Le résultat est  techniquement et musicalement impressionnant mais laisse parfois un léger arrière-goût de froideur spartiate.

En ayant de la sorte interverti par l'enregistrement l'ordre des cahiers, le claveciniste français semble investir ces pages de relative jeunesse de la même démarche spéculative, voire de l'abstraction qui culminera dans le second cahier, puis dans l'Offrande musicale et surtout L'Art de la fugue. L'interprétation du prélude en mi bémol majeur BWV 852, avec ses successions d'accords inattendus ici quasi en suspens, en est un bel exemple.

Même si dans un passionnant texte de présentation, reconnaît la plus grande disparité d'inspiration et de gestes musicaux au fil de ce premier ensemble, dû à une composition sans doute plus étalée dans le temps, il n'en insiste pas moins, par une courte notice pour chaque numéro, sur la qualité constante et rigoureuse de l'écriture du compositeur sur les plans thématique, stylistique et contrapuntique de chaque prélude et fugue.

L'approche de l'interprète est parfois fruitée et quasi joviale (préludes en ré majeur BWV 850 ou en la bémol majeur BWV 862), mais c'est souvent la projection dans l'austère monumentalité de l'idée musicale qui semble guider Rousset. Par exemple, la fugue en sol dièse mineur (BWV 863) est ainsi construite avec une patience opiniâtre à partir des quelques jalons thématiques stoïquement énoncés – les notes répétées ! La dimension archaïsante de certaines fugues – surtout celles de tonalités mineures – (n° 8  en  mi bémol mineur BWV 853, n° 12 en fa mineur BW 857, ou encore n° 24 en si mineur BWV 869) n'en est que plus patente.

, qui a déjà beaucoup enregistré Bach, insiste donc sur l'aspect pédagogique, la dimension avant tout contrapuntique et « horizontale » de l'ouvrage, là où par exemple récemment Céline Frisch (Alpha) donnait plus de rebond rythmique aux fugues, ou n'ignorait nullement le caractère de danse de certains préludes. Comparer le prélude en si mineur dans les deux versions est assez instructif à cet égard : là où Frisch fait avant tout avancer le discours par une marche harmonique inéluctable, Rousset creuse avant tout la polyphonie pour en révéler les écheveaux les plus complexes.

Tout oppose d'ailleurs ces deux approches récentes quasi complémentaires : la prise de son signée Nicolas Bartholomée, très proche de l'instrument chez Rousset, semble presque saturer l'espace sonore de la moindre résonance du superbe Rückers de Versailles, là où celle d'Aline Blondiau pour  tenait compte de la globalité de la perspective sonore. De même, le sourire esquissé sur la pochette par  semblait irradier la dimension humaine tour à tour pathétique ou malicieuse, voire hédoniste, de l'ouvrage, là où Christophe Rousset, visage tendu et mâchoire un peu serrée selon un habile jeu d'ombres et de lumières, annonce d'emblée une approche beaucoup plus sévère de l'incontournable monument.

Seul au-dessus de la mêlée, le déjà vieil enregistrement de (Deutsche Harmonia Mundi, 1971) réconcilie ces deux tendances a priori peu compatibles ; à ce titre il reste une référence pour l'éternité, sans doute, même si la relève est ici brillamment assurée, selon des options personnelles légitimes et assumées !

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