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Le marathon Bach de Toulouse

Comme chaque année au début du mois de juin, lefestival , dédiée pour cette 9e édition au concerto, aura illuminé et enchanté la ville rose en rassemblant un public aussi nombreux que divers autour de l'œuvre du Cantor. Des files d'attente parfois impressionnantes se sont formées pour la centaine de concerts dans une trentaine de lieux différents de la ville.

La thématique du festival favorisait naturellement le dialogue entre solistes, ripiénistes ou chœur, mais aussi les possibilités infinies de toutes les transcriptions, adaptations, improvisations de cette œuvre majeure et éternelle dans tous les styles possibles. C'est cela l'esprit de « Passe ton Bach d'abord » et ça fonctionne au-delà de toutes les espérances.

Dès le concert d'ouverture le vendredi soir, la cathédrale Saint-Étienne affichait complet pour une première rencontre entre père et fils imaginée par l'hôte naturel qu'est l' et son chef , l'heureux inventeur de ce marathon original. Ce premier concert résume d'ailleurs tout l'esprit de la manifestation par sa diversité stylistique.

Le célèbre recueil des six Concertos Brandebourgeois représente la quintessence du concerto grosso, à l'instar de ceux de Hændel, Corelli ou Vivaldi. De style faussement français, mais joyeusement sonore, le premier concerto évoque plutôt la chasse par ses polyphonies enchevêtrées et ses rythmes heurtés. L'intervention des deux cors naturels, instrument cynégétique par excellence, mais aux solos redoutables, fait peut-être qu'il est le moins joué des six opus. Galvanisant ses troupes, en donne une interprétation enjouée aux rythmes soutenus et aux belles couleurs instrumentales où hautbois et bassons soutiennent les cordes. Et les cors de Nicolas Chedmail et Édouard Guittet, relevant l'ensemble, sonnent juste ce qui est toujours un défi.

Dialogue entre le père et le fils

Quatrième et dernière de la série des Messes brèves, celle en sol majeur BWV 326 est un petit chef-d'œuvre qui fut longtemps méprisé, par l'utilisation parodique d'éléments antérieurs issus des cantates BWV 17, 79, 138 et 179. Les interventions de l'orchestre, du chœur et des solistes s'équilibrent et cette messe ne manque pas de charme. L'aria virtuose du Quoniam, ornée de périlleuses vocalises, requiert une basse de haut niveau, ce à quoi répond parfaitement . Le duo du Domine Deus offre un beau moment d'expressivité aux dessus et Caroline Champy Tursun, tandis que le dialogue entre le hautbois et le ténor atteint une émotion angélique. Attentif à chacun, mène un accompagnement orchestral délicat selon un tempo soutenu.

La seconde partie du concert est consacrée à Carl Philipp Emmanuel, le deuxième fils de Johann Sebastian, dont on redécouvre fort heureusement l'œuvre magistrale après un trop long purgatoire. Composé vers 1750, le 1er Concerto pour violoncelle Wq. 170 est confié à l'archet d', laquelle fait beaucoup pour redonner une nouvelle jeunesse à Carl Philipp Emmanuel, avec son ensemble Pulcinella. L' l'accompagne ici avec ferveur dans cette musique à la tonalité faite de jovialité et de gravité mêlées, reconnaissable entre toutes. Le Bach de Hambourg laisse parler ses sentiments entre Empfindsamkeit et Sturm und Drang avec des audaces harmoniques, des chromatismes propres à émouvoir le public, osant quelques dissonances d'un modernisme étonnant. Le superbe andante est empreint d'une mélancolie annonçant le romantisme à venir et avec la voix profonde de son grand Gofriler, fait preuve d'une imagination virtuose pleine de finesse et de poésie dans les deux cadences des 1er et 2e mouvements.

Après cette œuvre originale pour les oreilles du public actuel, revient au père et à la bible de tout violoncelliste avec la Sarabande de la 3e suite pour violoncelle seul. Un final hors du temps, qui augure à juste titre le succès de cette 9e édition.

« La hache de guerre est enterrée ! »

Pour le marathon de la journée du samedi, parmi le foisonnement proposé, c'est un casse-tête de choisir son programme en fonction des lieux, des temps de déplacements entre les différents sites et des impressionnantes files d'attente pour chaque concert. On ne peut donc tout entendre et il faut être sélectif. Le thème du concerto laissait pourtant une place aux expressions solistes.

C'est ainsi qu'à la tribune de l'orgue Arhendt de l'église-musée des Augustins, interprétait des transcriptions de son maître André Isoir sur l'œuvre de Jean- Sébastien, selon le programme de son dernier disque avec François Espinasse (La Dolce Volta 26). Une merveille d'inventivité, de clarté, de souplesse et de fluidité.

Dans le superbe auditorium Saint-Pierre des Cuisines, Michel Brun peut déclarer que « la hache de guerre est enterrée » entre les « baroqueux » jouant sur instruments anciens et cordes en boyaux et les tenants d'un instrumentarium moderne, en proposant deux concertos pour clavier de Bach interprétés sur deux grands Steinway de concert, accompagnés par les cordes de l'. Laurent Molines donne une vision musclée du fameux BWV 1052 en ré mineur avec le souci que le son du piano ne couvre pas les cordes. Depuis des années déjà, nous savons que l'essentiel tient dans la pulsation et dans le style, plus que dans les instruments eux-mêmes. Il fut rejoint par Denis Pascal pour le tout aussi célèbre BWV 1062 en do mineur, transcrit du concerto pour deux violons avec ce formidable andante en suspension.

Dans le même lieu, Ophélie Gaillard offrait pour sa part un dialogue à deux siècles de distance entre Jean-Sébastien Bach et . Avec la 2e Suite en ré mineur pour violoncelle seul BWV 1008 de 1721, Ophélie Gaillard retrouve l'esprit de la danse avec une science du rythme et un sens absolu de la polyphonie. Les 400 auditeurs du public mélangé font preuve d'une qualité d'écoute remarquable et nombre d'entre eux entendent puet-être ces pièces pour la première fois, ainsi que la musique du Cantor.

Élève de Pablo Casals, a composé sa propre suite pour le même instrument en 1926. Elle se décline en un prélude, une fantaisie, une sardane et un final flamenca, comme une plainte nostalgique en hommage à l'Espagne. La vitalité rythmique renvoie à la danse avec d'impressionnants déploiements virtuoses et des écarts incroyables rejoignant la ligne générale selon une belle écriture emprunte de passion et de lyrisme. Certains pizzicati de viole évoquent parfois le lointain souvenir de Monsieur de Sainte-Colombe.

Dans la vaste salle capitulaire du couvent des Jacobins, l' de la violiste donnait à entendre la splendeur d'un consort de violes de l'Allemagne des XVIIe et XVIIIe siècles. D'une exigence certaine l'Harmonia a cinque de Heinrich Schmelzer nous fait entrer dans l'intimité des cordes entre dessus et basse de viole. Ce compositeur méconnu, qui aurait été le professeur d'Heinrich Biber, fut pourtant l'un des plus importants violonistes de la seconde moitié du XVIIe siècle en Allemagne.

C'est pour ce même effectif de 2 altos, 2 basses de viole, un violoncelle et un clavecin, instruments sur lesquels il excellait, que Jean-Sébastien Bach a composé son 6e Concerto Brandebourgeois. L' maîtrise parfaitement le riche contrepoint de cette œuvre intime, qui mêle le chant des basses de viole à la virtuosité des altos.

L'Europe musicale en dialogue

La soirée s'achevait dans cette même salle capitulaire avec l'Ensemble Baroque de Toulouse autour des célébrissimes Quatre Saisons de Vivaldi. Œuvre rabâchée s'il en est, depuis sa redécouverte au milieu du XXe siècle, adaptée à toutes les sauces jusqu'aux sonneries de téléphone ou en fond d'ascenseur, cette suite de quatre concertos issus du recueil Il cimento dell'armonia e dell'inventione résiste à tout, mais n'en demeure pas moins de la musique de fort belle facture, certes descriptive, mais d'une grande richesse d'invention, que l'on entend autrement. Et la partie de violon solo confiée à  , n'a rien de simple. Michel Brun porte une grande attention aux détails instrumentaux, où une guitare baroque alterne avec le théorbe pour enrichir le continuo, ainsi qu'aux nuances. L'Automne guilleret succède à la douce langueur de l'Été, tandis que, malgré sa brièveté, la redoutable cadence du premier mouvement de l'Hiver est digne de la Chaconne de Bach ou de la Passacaille de Biber, voire de la musique répétitive d'aujourd'hui. En tout cas, cette écriture reflète une grande modernité. Et la sérénade en pizzicati du 2e mouvement de l'Hiver représente peut-être le sommet de l'ouvrage.

Comme Bach n'est jamais loin dans cette fête toulousaine, le concert avait commencé par le Concerto pour hautbois BWV 1053 R, constituant la version originale reconstituée d'un concerto pour clavecin, plus connu, dont l'introduction a été reprise en parodie pour la Sinfonia d'ouverture de la Cantate BWV 29. L'ensemble de Michel Brun y accompagne avec beaucoup de délicatesse le hautbois de Yann Miriel.

Le marathon se poursuivait dans la journée du dimanche pour finir dans une cathédrale Saint-Etienne bondée, par la traditionnelle « Cantate sans filet », dans la suite du projet initié en 2008 par Michel Brun et sa bande. Au menu ce jour-là, la Cantate BWV 76 Die Himmel erzälhen die Ehre Gottes (les cieux racontent la gloire de Dieu) où l'on retrouve les solistes de la Messe brève du concert d'ouverture, auxquels s'est adjointe la soprano Amandine Bontemps, tandis que l'orchestre s'enrichit de l'éclatante trompette naturelle de Patrick Pagès et de la viola da spalla (viole d'épaule) de Daniel Bayle. Comme à l'accoutumée, le public est invité à chanter le choral final dans une belle ferveur de communion musicale.

Le thème du concerto aura parfaitement joué son rôle pendant ces trois jours d'enthousiasme, de ferveur et de rencontre où pas moins de 20 000 spectateurs se sont pressés à la centaine de concerts proposés.

Photos © Alain Huc de Vaubert

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