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Accords et désaccords parfaits au Festival Pablo Casals

Les sept dernières paroles du Christ de sont souvent à l'affiche du festival , dans leur version pour quatuor à cordes. Mais l'œuvre n'avait jamais encore résonné dans les murs du Prieuré de Marcevol, ce haut lieu de l'architecture romane de la Catalogne bâti au XIIe siècle par les Chanoines du Saint-Sépulcre. Il importait à Michel Lethiec d'y faire entendre les « sept paroles », dans la version de référence qu'en donne le .

L'œuvre écrite à l'origine pour orchestre (1786) est une commande faite à Haydn pour l'office du Vendredi Saint de l'église Santa Cueva de Cadix. C'est, pour le compositeur, l'une des premières sollicitations venues de l'étranger. L'année suivante, il en écrit une version pour quatuor à cordes en neuf mouvements. La dramaturgie latente de ce chef d'œuvre instrumental incitera Haydn, secondé par le Baron van Swieten, à le muer en oratorio (1795-96), sur les paroles du chanoine Joseph Friberth.
Pour l'heure, ce sont les sept Sonates (augmentées d'une Introduction et du Tremblement de terre) qu'interprètent les Talich, portant à la perfection et dans une acoustique optimale cette œuvre de maturité habitée d'une spiritualité intense.

L'introduction, Largo, en mineur, est impressionnante sous l'autorité de leurs archets maintenant une pulsation implacable, dans un contexte sombre et d'une homogénéité de son exemplaire. Cette pulsation sur des notes répétées, lancinantes et obsessionnelles, traverse toute la partition, faisant office de motif conducteur. L'expression se creuse dans la Sonate IV (Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?) pour culminer dans la suivante (J'ai soif), sommet dramatique où le cri affleure et dont le quatuor communique la ferveur sans jamais renoncer à une certaine sobriété de jeu. Le tremblement de terre est la seule page animée (Presto e con tutta la forza, note Haydn sur la partition), écrite dans la tradition baroque des tempêtes et autres pages descriptives toujours très étonnantes. Il libère sous les archets des Talich une formidable énergie qui propulse les sonorités dans un élan des plus spectaculaire.

La soirée, sous les voûtes de Saint-Michel de Cuxa est entièrement espagnole. « Madrid Barcelone » regroupe toute une génération de compositeurs (Albéniz, Granados, De Falla, Turina…) qui a contribué à l'essor de la musique ibérique via un passage obligé à Paris, capitale des arts et foyer de la musique moderne. Ils ont tous eu, avec , des liens amicaux ou professionnels. Michel Lethiec nous raconte que c'est , écoutant jouer encore enfant au café Tost de Barcelone, qui décide de la carrière du grand violoncelliste en l'envoyant étudier à Londres.
Malagueña et Berceuse d'Albéniz, interprétées par le violoncelliste accompagné de Natsuko Inoue, sont des transcriptions de pièces pour piano. Ces charmantes espagnolades acquièrent toute leur saveur sous l'archet sensible et séducteur du violoncelliste, véritable magicien des sons formant avec sa partenaire un superbe duo.
Le Trio avec piano (1895) d' est d'une toute autre teneur, relevant de l'académisme de d'Indy qu'il a fréquenté à Paris et des conseils de , son seul maître de composition. L'œuvre en quatre mouvements déplace le scherzo en deuxième partie et génère une écriture dense, un rien touffue, dont on peine à sentir les articulations. Le piano () y est d'emblée trop envahissant, d'une agitation fiévreuse qui nuit à la clarté des lignes. Seul le Scherzetto elfique fait appel au matériau de quelque mélodie populaire. Le mouvement lent quasi brahmsien précède un Finale explosif où les deux archets ( et ) soulignent les nervures rythmiques au sein d'une polyphonie dense à l'excès, qu'ils peinent à dompter.

De , « le meilleur compositeur » selon Casals, les Tres obras pour violoncelle et piano font revenir sur scène, en début de seconde partie, l'excellent duo Natsuko Inoue et . Melodia et Romanza (1897) regardent encore vers un romantisme sentimental dont François Salque sublime les mélodies alanguies. Pieza en do mayor n'est autre que la Nana (berceuse), bijou des Sept chansons populaires espagnoles composées en 1915. Falla y a épuré son écriture, découvrant, au contact de Debussy puis de Pedrell, les richesses d'un fond national qu'il veut étudier à sa source. La pièce est « chantée » avec beaucoup de tendresse et d'émotion par nos deux interprètes en totale symbiose.

Comme le Trio de Granados, le Quintette avec piano en sol mineur de Turina op. 1 (1901) de son catalogue, se nourrit d'influences diverses, celle de César Franck notamment dont le compositeur fait son miel. Il n'encouragera d'ailleurs jamais la diffusion de cette oeuvre, la jugeant « impersonnelle ».
Originale dans sa conception – le quintette débute par une fugue et contracte en un seul mouvement l'Andante et le Scherzo – la partition manque d'unité stylistique et de conduite formelle, embarquant les cinq musiciens (Olivier Triendl, , Christian Altenburger, et ) dans des chemins sinueux dont on peine à discerner le but. Dans l'étrange premier mouvement, Turina croise le contrepoint rigoureux de la fugue avec un lyrisme éperdu au goût douteux. L'élan lyrique du deuxième mouvement, Animé, porte l'écriture à des sommets de tension dans un flux quasi wagnérien défiant tout sens de l'équilibre. Les deux mouvements suivants ne convainquent pas davantage, exigeants pour les vaillants instrumentistes à qui la musique de Turina n'accorde que peu de répit. Voilà une partition en « désaccord parfait » – pour reprendre la thématique de cette 46e édition – avec un programme sensé exalter l'Espagne, rien que l'Espagne !

Crédits photographiques :  © Bernard Martinez ; François Salque © François-Sechet

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