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Très classique et consensuelle nouvelle production de Parsifal à Bayreuth

Confiée à , la mise en scène de cette nouvelle production de Parsifal joue la carte esthétique du consensus et du compromis entre modernité et tradition.

Maudit Parsifal… Pour succéder à la remarquable production Herheim/Gatti, il avait été question d'inviter le sulfureux plasticien Jonathan Meese, dont la radicalité fut jugée excessive par certains et conduisit à son éviction. Deuxième écueil : l'annonce du départ d'Andris Nelsons à deux semaines de la première, pour d'obscures raisons relationnelles. Le vétéran fut appelé à la rescousse, dirigeant une production finalement confiée aux bonnes grâces du directeur du Théâtre de Wiesbaden, . Il résulte de ces péripéties un honnête et très consensuel Parsifal qui ne parvient pas de toute évidence à atteindre le niveau et l'ambition de la production Boulez/Schlingensief ou la fabuleuse fresque socio-historique imaginée par Stephan Herheim, un peu dans la veine du film de Hans-Jürgen Syberberg.

En inscrivant l'action dans un Moyen-Orient déchiré par la guerre civile, Laufenberg a su créer un parfum de scandale que les autorités locales crurent bon d'accompagner par un impressionnant dispositif policier… Précautions sans doute inutiles, la montagne accouche d'une souris. La faute à une dramaturgie aux abonnés absents, des décors pontifiants et une direction d'acteur poussiéreuse.

On est ici sous les voûtes d'une église victime de bombardements et d'exactions ; accompagnant l'élévation du Graal par un zoom arrière façon Google Earth, on ira à la rencontre de l'infini avant de redescendre sur terre, précisément en plein milieu du désert irakien. Et Dieu dans tout ça ? Il est là, sous la forme d'un mannequin assis et immobile qui observe la scène depuis le sommet de la voûte…

Ce genre d'idées présente le désavantage de se lire du premier coup d'œil, à commencer par le manège de ces chevaliers-moines parfois perturbé par l'irruption de populations locales comme une manifestation et une interférence de l'actualité dans le déroulé des scènes de l'opéra (le drame du petit Aylan et la mort du cygne au moment de l'arrivée de Parsifal, la présence des troupes américaines etc.).

Tout semble cousu d'un épais fil blanc, jusqu'au ballet des filles-fleurs, découvrant sous leurs burqas des tenues de danseuses du ventre… ou la cérémonie du Graal façon Grand-Guignol, avec le corps supplicié d'Amfortas transformé en fontaine sanguinolente. Les chevaliers affluent à ce miracle du sang changé en vin pour boire à cette improbable source sacrée tandis qu'on exhibe une copie du Crucifix de Santo-Spirito par Michelangelo… à l'intention de ceux qui n'auraient pas encore saisi le rapprochement. Ce Regietheater soft se lit également dans une Kundry qui emprunte au II sa sensualité carnassière à la Saraghina de Otto e mezzo de Fellini, avant de se muer en Marie-Madeleine parkinsonienne, poussant Gurnemanz dans son fauteuil roulant… Klingsor est mieux servi, psychopathe et collectionneur notoire de crucifix dont on aura deviné qu'ils représentent autant de captures de chevaliers par ses troupes de filles-fleurs. Au moment où Parsifal se saisit de la lance, il la brise en deux en formant une croix… qui fait tomber à terre toutes celles que le magicien avaient accrochées sur son mur.

L'enchantement du Vendredi-Saint se déroule sur fond de jeunes filles prenant leur douche au milieu de plantes grasses géantes. C'est gentillet mais assez anecdotique ; tout comme le retour de la lance-croix, occasion d'une vaste et lénifiante cérémonie qui se conclura par l'afflux des juifs, musulmans, chrétiens etc. imitant Parsifal en venant jeter dans le tombeau de Titurel tous leurs objets de culte, préférant aux conflits armés un syncrétisme béat.

Un plateau d'exception vient rattraper les errances de cette mise en scène. fait le pari – gagnant – d'enchaîner son Lohengrin avec le chaste fol… Les inflexions aériennes s'accordent à la perfection avec l'élégance d'un timbre qui ne confond jamais le serviteur du Graal avec le tueur de dragons… Son Nur eine Waffe taugt a l'humilité et la candeur de celui qui sauve le monde sans faire de son acte une démonstration. trempe sa Kundry dans les vitupérations d'une Santuzza ou d'une Elektra. La ligne est forte et volumétrique, avec des aigus placés comme des coups de lance. C'est impeccable mais assez peu émouvant dans l'ensemble, même si l'ovation est méritée. Ovation également pour le Gurnemanz de , dont la rondeur dans le registre grave leste son personnage d'une profondeur désarmante.

Sur les cimes également, le Amfortas de . Volontiers tonnant et sonore, il a l'ampleur du rôle sans pour autant l'habiter encore totalement dans toute sa dimension dramatique. Le Klingsor râpeux de n'a pas le mordant et la projection qui lui permettraient de rendre la fêlure psychologique de son personnage. Les très ordinaires chevaliers du Graal se laissent volontiers oublier tandis que les filles-fleurs sont dominées par la voix veloutée d'Alexandra Steiner et que compose une admirable Altsolo. Les chœurs ont la richesse et la couleur incarnat qui réjouit à la première écoute. On regrettera simplement que l'élévation finale soit compromise par l'éparpillement vers l'arrière-scène.

On reconnaîtra à le mérite d'avoir sauvé une production, même si sa direction attentive et précise ne dépasse pas sa précédente prestation, captée lors des représentations de 2011 à la Monnaie. Le geste est prudent et sans une once d'originalité qui viendrait étoffer une conduite harmonique qui tombe sans faux pli. Haenchen est envisagé pour diriger les représentations 2017, avec l'éclatant Andreas Schager en remplacement de Klaus-Florian Vogt, ce qui ne manquera pas d'occasionner une inflexion notable dans le caractère et la couleur de ce Parsifal de répertoire.

Crédits photographiques : © Enrico Nawrath

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