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Le Grand Soir avec Bryce Dessner et Matthias Pintscher

C'est l'heure de la rentrée pour l' et leur chef . Au programme de cette soirée, un concert autour du guitariste et compositeur américain (né en 1976).

A la fois guitariste du groupe The National et diplômé en composition à Yale, c'est en caméléon qu'il pose ses valises à la Philharmonie de Paris pour un week-end consacré à sa musique. Issu de la scène post-minimaliste new-yorkaise, sa venue dans la capitale et ce concert avec l'Intercontemporain font figure de véritable événement.

Première oeuvre au programme de cette soirée fleuve, les célèbres Three Places in New-England de (version pour orchestre de chambre de 1931), dont les superpositions polytonales uniques auront été essentielles pour la quasi-totalité des compositeurs à suivre venus d'outre-Atlantique. La direction souple de attentionnée à chaque phrasé, nous permet de goûter pleinement la diversité de climats, spécifiquement dans The Housatonic at Stockbridge, où les teintes folks et fantomatiques se mêlent dans une forme d'ailleurs irréel, où le son de l'Ensemble ne fait plus qu'un.

A tout seigneur tout honneur, c'est avec la musique de Dessner que se clôture la première des trois parties de ce concert: Raphael (2008), première grande réalisation du musicien, est ici donnée dans une version pour deux guitares électriques (Christelle Sery et Dessner lui-même) et orchestre de chambre. Au travers de l'image de l'ange Raphael présent dans le Paradis Perdu de John Milton (1667), dresse une grande arche minimaliste inspirée par La Monte Young, Steve Reich et John Adams, usant du concept de « drones » (« bourdons » tournant sur eux-mêmes) ; des « drones » joués en continu par un orgue Hammond aux sonorités évanescentes, sur lequel vient se greffer tant des aplats de couleurs pures que d'implacables superpositions de grooves « à la Reich » (réminiscences ô combien tonales pour le répertoire habituel de l'Intercontemporain). Une oeuvre présentée par le bras toujours fin et enthousiaste de , en accentuant ainsi d'une manière jubilatoire les flux de sensations.

Après le premier entracte de la soirée, l'Ensemble donnait dans une formation encore plus élargie, une oeuvre furieusement ahurissante de la compositrice autrichienne : Eleanor (2015). Tirée de son opéra American Lulu (2012) – réécriture de l'opéra d'Alban Berg dans l'atmosphère de contestation raciale de l'Amérique des années 1950 –  Eleanor se figure être une véritable « oeuvre monde », pour chanteuse de blues, batterie, guitare électrique et grand ensemble. Un effectif surdimensionné n'hésitant pas même à inclure des platines de DJ ! On peut alors imaginer l'incroyable foisonnement de pareille texture sonore, conférant par moment à une quasi-saturation par la luxuriance. Il n'y a en effet que peu d'instants de répit dans ce cri de détresse et d'alarme à la puissance tellurique, l'habileté de la compositrice résidant dans la transformation de son propre langage au travers du filtre d'un jazz pulsé et jouissif, comme avaient pu l'expérimenter Enno Poppe (Interzone), et plus largement Mark-Anthony Turnage (Blood on the Floor). Construit de manière cloisonnée entre épisodes de voix parlées pré-enregistrées portées par le synthétiseur (images sonores d'un monde sans discrimination et sans violence) et le reste de la pièce (le plus souvent d'une grande âpreté) Eleanor fait la part belle à ses solistes « principaux ». De la batterie enragée de Tyshawn Sorey à la guitare électrique de , l'investissement des interprètes est remarquable. Mais c'est toutefois la présence tant vocale que physique de l'incandescente chanteuse de blues dont on se souviendra, véritable incarnation flamboyante de cette Billie Holiday 2.0.

C'est au maître de cérémonie de ce soir d'entamer la dernière partie du concert, avec sa création Wires, pour grand ensemble (augmenté par sa propre guitare électrique). Contrairement à Eleanor, c'est le chemin inverse qui se produit ici, où un compositeur dont la musique est d'ordinaire tonale, profite du défi qu'est d'écrire à destination de l'Ensemble Intercontemporain pour aller puiser d'autres ressources que celles de son langage habituel. Conçu comme un concerto de chambre en quatre mouvements distincts, Wires croise à la fois l'influence des « piliers » du répertoire d'avant-garde Boulez, Ligeti et Lachenmann, avec les influences habituelles du compositeur, très lié à la scène post-minimaliste américaine. L'œuvre qui en résulte est à la fois âpre et généreuse, toujours ciselée, vive et précise. On se souviendra particulièrement du finale jouissif aux allures pop s'achevant en un effondrement de la matière sur elle même, dans un tourbillon de sons acides et ténus.

The Perfect Stranger (1984) de Frank Zappa, vient conclure ce riche concert, par ces couleurs bigarrées, son humour parfois débridé, et surtout par sa belle virtuosité d'écriture. Jusque dans cette dernière oeuvre, Matthias Pintscher montre encore une fois quel incroyable musicien il est par son savant dosage des phrasés et des intentions. Une soirée hors-norme, en dehors des sentiers battus, et dont l'esprit d'ouverture fait du bien, tout simplement.

Crédits photographiques: Bryce Dessner durant le concert « Grand Soir » du 24/09; durant le concert « Le Grand Soir » du 24/09; Répétitions de Wires de Bryce Dessner, par l', Bryce Dessner et Matthias Pintscher (c) Luc Hossepied –

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