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L’Heure espagnole et Gianni Schicchi donnés en diptyque à Nancy

Présentés au cours de la même soirée, les deux ouvrages en un acte font appel à toutes les ressources du comique pour enchanter la salle. Succès assuré, grâce à une mise en scène qui tisse des fils entre les deux intrigues et par des jeunes interprètes au jeu parfaitement rôdé.

Particulièrement astucieuse, la mise en scène de se plaît à tisser des liens entre deux œuvres conçues à la même époque, toutes deux ressortissant du registre du comique mais d'esprit et de tonalité radicalement différents. On voit mal en effet, de prime abord, ce qui peut relier le subtil marivaudage de Ravel, plein de sous-entendus volontiers grivois, à la farce de Puccini, encore toute empreinte des conventions et de l'esprit de la commedia dell'arte. Autant Gianni Schicchi est imprégné de références à la ville de Florence – superbe vue sur le Duomo en toute fin de spectacle –, autant L'Heure espagnole est marquée de renvois à Tolède, au Guadalquivir, à l'Estrémadure et à tous les clichés associés au monde ibérique. Si l'ouvrage de Ravel raconte les déboires d'un ménage aux prises avec les épreuves du temps, celui de Puccini n'évoque qu'en filigrane les amours juvéniles de Lauretta et de Rinuccio, pourtant les grands triomphateurs au final du stratagème ourdi par Schicchi. C'est donc un élément scénique fort, adapté aux nécessités et aux spécificités de l'action, qui va unir les deux ouvrages pratiquement contemporains, reliés ici par la présence monumentale d'une immense horloge permettant de signifier aussi bien le passage de la fameuse heure « espagnole » chez Ravel que l'arrêt du temps, avec la mort de Buoso Donati, chez Puccini. Dans L'Heure espagnole, l'essentiel de l'action est donc situé à l'intérieur de l'horloge, notamment dans la partie supérieure censée représenter l'intérieur de la chambre de Concepción ; les ébats qui s'y déroulent – ou plutôt qui ne s'y déroulent pas, au grand dam de la dame… – sont suggérés par l'espace tronqué que laisse entrevoir le fronton de l'horloge, légèrement soulevé. Dans Gianni Schicchi, la pendule à l'arrêt est remisée sur le côté de la scène, mais elle reste un élément central dans la chambre du défunt. À la fin de l'acte, elle figurera le clocher d'où les jeunes amants contemplent la superbe vue sur Florence. C'est ainsi dans ces deux ingénieux décors, situés respectivement dans les années 1940 et 1980, qu'évoluent de jeunes et brillants acteurs, dont le jeu parfaitement rôdé irait presque jusqu'à évoquer cette mécanique parfaitement huilée, autant pour le batifolage de Concepción et de ses quatre soupirants que pour les agissements crapuleux de la famille et des connaissances de Buoso Donati. La mise en scène, pour les deux ouvrages, fourmille d'idées et de gags à la grande joie d'un public conquis dès les premiers instants de la soirée.

Coproduit avec Nancy Opéra Passion, une association destinée à promouvoir la carrière de jeunes chanteurs, le spectacle permet de faire découvrir une distribution essentiellement composée d'interprètes peut-être peu expérimentés sur le plan vocal, mais parfaitement convaincants dans leur rôle. L'ouvrage de Ravel aura sans doute davantage permis à quelques individualités de se mettre en avant, à commencer par la pétillante Concepción d', également distribuée pour le petit rôle de La Ciesca dans Puccini. Belles performances également de la part de , Gilen Goicoechea, Thibault de Damas et surtout , ténor à la diction particulièrement soignée qui convient idéalement au personnage du poète Gonzalve. Dans Gianni Schicchi, c'est surtout l'esprit d'équipe qui aura prévalu, même si l'on aurait tort de ne pas distinguer les sympathiques Lauretta et Rinuccio de et . Pour un rôle où il faut une présence vocale et scénique écrasante, n'était peut-être pas tout à fait à la hauteur en Schicchi, même si l'idée de le représenter en « métèque » des années 1980, dans cet univers résolument et tristement « petit bourgeois », était en soi plutôt convaincante. Sous la baguette précise et alerte de , l'Orchestre symphonique et lyrique était peut-être plus à son affaire dans les subtilités de l'orchestration ravélienne que dans les élans lyriques dont regorge la partition de Puccini. Une belle soirée, néanmoins, pour un pari musical et théâtral qui n'était pas forcément gagné d'avance.

Crédit photographique : © Opéra national de Lorraine

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