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Le Quatuor Modigliani, Gérard Caussé et Edgar Moreau à Flagey

Tandis qu'au dehors, l'orage se déchaînait sur Bruxelles, il fallait trouver abri, ce samedi dans le cocon acoustique du studio 4 de Flagey. Le concert qui s'y tient ce soir 1er octobre a pour cadre le week-end thématique dédié par Flagey aux quatuors. Le s'apprête à y déployer, aux côtés de deux invités prestigieux, son jeu brillant, expressif et généreux.

Le ouvre la soirée avec le Quartettsatz de Schubert, une œuvre inachevée dont le compositeur n'écrivit que le premier mouvement et quelques mesures de l'Adagio. La cause de cet abandon est encore l'objet de spéculations. Dès l'ouverture étonnante et bourdonnante, les musiciens impriment une marque qui signera toute leur prestation : une technique parfaite, un son chaud, velouté qui semble privilégier une gamme de couleurs étendue, souvent dans le mezza-voce, à des contrastes trop violents. Cela n'empêche pas la vivacité mais insuffle beaucoup de relief à ce mouvement. Les Modigliani exploitent à merveille la dynamique de leurs instruments précieux. La subtilité de leur interprétation permet cette progression insaisissable du silence complet à la musique. On reste admiratif devant le continuum qui nous mène parfois du silence aux premiers sons formés par l'archet de (premier violon en lieu et place de Philippe Bernhard, le visuel est trompeur) ou, à l'opposé, de la musique au silence, comme un fondu au noir, lorsque la main gauche de vibre encore longtemps après que l'archet a quitté les cordes. Ces nuances se retrouvent jusque dans la variété des pizzicati du violoncelle. On s'avance dans le morceau avec finesse plutôt que dans les heurts.

Les Modigliani sont rejoints pour la seconde pièce par l'altiste qui sera alto d'honneur pour une autre grande partition de la musique de chambre : le Quintette pour alto K516 de Mozart… en sol mineur, tonalité que le compositeur associe au tourment profond. Ce quintette très touchant est souvent considéré comme le sombre alter ego du K515. Mené par l'archet d'un incroyable premier violon, solidement épaulé par Loïc Rio, second violon très attentif, le thème principal évolue d'une légèreté apparente à un trouble croissant, tiré par les trois instruments graves. Le second mouvement est empreint de peine profonde. Cette humeur sombre gagne même les modulations à la relative majeure. Le trio du Menuet n'y figure qu'un court répit avant le très beau troisième mouvement où la tristesse culmine. L'alto de exprime quelques phrases courtes déchirantes. Le premier violon ouvre le quatrième mouvement avec des mesures lentes qui sont un régal tout comme les lignes mélodiques de qui suivront. Ce n'est qu'après un énigmatique mouvement sautillant que résonne l'Allegro qui sonne comme une victoire ou une libération.

Enfin, c'est le tout jeune talent qui vient compléter ce brillant ensemble pour le sextuor Verklärte Nacht de Schoenberg. La partition, œuvre de jeunesse du compositeur, se réfère encore à la musique tonale. C'est une œuvre haletante et dense, écrite en quelques semaines par le compositeur amoureux et construite sur un poème de Dehmel. Ces musiciens n'en sont pas à leur première collaboration et , souriant, tient aisément son rang. On leur sait gré du fin travail d'interprétation. Un sextuor est déjà une formation conséquente. Aussi, leur lecture intelligente, la complicité musicale des musiciens sont-elles de toute utilité pour conserver la cohérence du récit dans cette partition emplie de contrastes et de lyrisme. Après avoir installé cette nuit incertaine et angoissée, les musiciens se dirigent vers un final permettant l'expression agitée de chaque instrument. Alors seulement, la transfiguration s'opère. Les auditeurs retiennent leur souffle. Enfin, telle la lune consolatrice du poème, l'Adagio lumineux clôt cette dernière pièce par un dialogue des instruments toujours subtil.

Voici déjà l'heure des saluts. À l'émotion suscitée par ces morceaux s'ajoute celle offerte par la vision de ces générations d'interprètes réunies pour le plus grand bénéfice de l'excellence musicale.

Crédit photographique : © Jérome Bonnet

 

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