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En Chair et en Son avec la danse butō et l’art acousmatique

« Le son révèle la chair, la chair sublime le son » : c'est ce qu'on lit sur la brochure de cette 2e édition du festival international de danse butō et musique acousmatique « En Chair et en Son » qu'accueille la scène du Cube à Issy-les-Moulineaux. Sous la houlette de son directeur Michel Titin-Schnaider, la manifestation est déclinée en 5 sessions sur trois journées et invite cette année 44 artistes de 10 pays.

En amont, c'est un double appel à participation, destiné aux danseurs et aux compositeurs qui, après sélection, vont former des binômes et travailler, ensemble ou séparément, en vue de cette rencontre-performance. Répartis dans l'espace du Cube (Centre de création numérique), les quelques 50 haut-parleurs de l'acousmonium Motus (cf notre article ) avec ses interprètes à la console ( et ), assurent la projection du son. Essentielle également dans la représentation de cette « danse obscure », la création lumières de Cloé Chope confère une dimension singulière à chacun des corps en mouvement.

Si certains danseurs, presque nus, crâne rasé et visage blême, concentrant leur performance sur les seuls mouvements du corps restent proches des origines du butō, la danse, pratiquée aujourd'hui par les deux sexes, s'est ouverte à d'autres horizons et balaie une gamme extrêmement riche d'expressions, sans pour autant renier ses attaches minimalistes et perdre son caractère d'introspection et de révolte tendue.

Avec son bout de poumon dans la main et le rouge du sang qui en jaillit, Frédéric Rebiere superbement investi évolue sur la musique granulaire de José André Deutsch dans une situation qui se rapproche du happening et confine à la folie. Dans Cosmodragon, Solène de Cock, sorte de sorcière Baba Yaga hallucinée danse avec un cep de vigne phallique sur la trame sonore à évolution lente de Gilles Monfort. Gaëtan Sataghen « jongle » quant à lui avec un plat d'argent et un œuf sur les nappes sonores mouvantes de Denis Royer et Nicolas Darien dans Souffles de verre. Pour Ukiyo, « une exploration sur le changement d'état de la matière au seuil de l'imperceptible », le compositeur démultiplie l'espace et lui confère une profondeur infinie en concevant sa toile sonore dans un temps très étiré qu'habitent l'ombre et le mystère. Les résonances lointaines d'un hichiriki (hautbois japonais) donnent à la matière fragile et presque silencieuse une couleur d'extrême-orient. Le corps de la danseuse et chorégraphe Juju Alishina s'y love avec autant d'aisance et de naturel. Cette session 1 est dominée par la performance de Marek Jason Isleib, immense stature éminemment plastique fascinant les regards dans Chair où le très beau travail sonore d'Alexandre Bellenger, risquant le pléonasme, consiste dans l'enregistrement et le traitement de la voix d'un corps souffrant.

La cinquième et dernière session affiche quatre binômes témoignant de la pratique plurielle et libre du butō. En pagne blanc traditionnel, mêle tension et fragilité dans une performance impressionnante sur la vidéo et les sonorités un rien monolithiques et par trop agressives de Luc Larmor dans Le grondement de l'écaille. Dans Embryon, Mohamed Aroussi renoue avec « la danse de l'ombre » dans un solo très radical, au sol, où la chair et les membres du corps semblent retrouver un état animal. Le support sonore répétitif de René Baptiste Huysmans, évoluant sous l'effet de longs processus, rejoint le minimalisme de la danse. Pour Out of the cages // Responsible consumption, le compositeur milanais Dante Tanzi a conçu une trame sonore très active, cernant un large espace où l'énergie est constamment réamorcée. Les distorsions du son dans les registres extrêmes confèrent au flux sonore une tension certaine. Sur cette musique aux multiples sollicitations, la danseuse argentine Lorna Lawrie opte pour une surenchère de vitalité et d'agitation qui ne nous convainc guère. Dernier binôme du festival, Eternity Theory invite Moeno Wakamatsu et la musique d'un des pionniers de l'art acousmatique, le regretté . Dans Au gré du souffle, le son s'envole (2006) que l'on entend ce soir, le compositeur commente : « Le son devient alors un oiseau dont l'envol bat le silence ». La phrase est prise à la lettre par la merveilleuse danseuse japonaise dont l'expression du corps et la concentration des mouvements confinent à l'hypnose.

Crédit photographique : (c) Fabrice Pairault

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