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Merveilleux Armin Jordan, hélas dans une édition peu soignée

La disparition prématurée d' le 20 septembre 2006 a bouleversé non seulement tous les mélomanes auxquels il a révélé des œuvres et des interprétations rares, mais également tous les musiciens qui ont eu l'honneur de collaborer avec lui, et qui, sans exception, l'adoraient. Avec un soin hélas fort variable, Warner Classics, sous étiquette légendaire Erato et dans la belle série « Icon », rassemble en un petit coffret de 13 CDs presque tous les merveilleux enregistrements orchestraux de musique française qu'il a accomplis.

Ce grand humaniste que fut (1932-2006) mena de front des études universitaires (lettres, droit et théologie) et musicales à Fribourg (Conservatoire), puis au Conservatoire de Lausanne. Il fut nommé successivement à l'Opéra de Zurich (1963-1968), à Saint-Gall (1968-1971), à l'Opéra de Bâle (1973-1989). Il hérita du remarquable et trop peu connu chef suisse fondateur Victor Desarzens (1908-1986) l'excellent Orchestre de Chambre de Lausanne qu'il porta à un niveau international, et fut également le premier chef suisse à prendre en main les destinées de l'Orchestre de la Suisse Romande au point que l'exigeant Ernest Ansermet pût en être certainement très fier.

Son héritage discographique, s'il n'a pas l'ampleur de ceux des « stars » de la baguette, est d'une qualité exhaustive et est une véritable bénédiction pour les mélomanes. Sans bien sûr renier le répertoire standard (Debussy, Fauré, Franck, Mahler, Strauss, Wagner…), Armin Jordan a gravé nombre non négligeable de raretés : rien que dans le domaine lyrique, il convient de citer Das Paradies und die Peri de Schumann, Eine Florentinische Tragödie et la Lyrische Symphonie de Zemlinsky ; Le Roi d'Ys de Lalo, et les premières studio en disque de Ariane et Barbe-Bleue de Dukas et Le Roi Arthus de Chausson, réussissant à concilier idéalement son double héritage français et germanique.

« Je n'ai pas peur de mourir. Mais je n'ai pas envie de ne plus vivre, ne plus être là… Ne serait-ce que pour entendre un quatuor de Brahms ! » Armin Jordan

Du côté symphonique français, qui nous occupe ici, Armin Jordan nous laisse des quasi intégrales de Chabrier, Chausson (avec notamment les rares Symphonie op. 20, Poème de L'Amour et de la Mer avec , Viviane), Debussy (dont les Six Épigraphes Antiques, Sarabande, La Boîte à Joujoux dans les orchestrations respectives et très réussies d'Ernest Ansermet, Maurice Ravel, André Caplet), Dukas (dont La Péri, la Symphonie, Polyeucte), Fauré (dont Masques et Bergamasques), Franck (dont Les Éolides et Rédemption), Ravel (dont on regrette un peu ici les Suites de Daphnis et Chloé et Ma Mère l'Oye plutôt que les ballets complets). Et puis remercions chaleureusement Armin Jordan d'avoir consacré son temps à nous offrir les plus belles versions des très rares au disque Procession Nocturne d' (1873-1949) et surtout de la Fantaisie Symphonique sur deux Airs populaires Angevins et du merveilleux Adagio pour Quatuor d'orchestre du Belge (1870-1894).

Enfin, honorer ces deux admirables musiciens français scandaleusement négligés que sont (1879-1961) et (1900-1940) était un acte de foi absolument nécessaire et magnifiquement accompli ici par la voix pure et expressive de la soprano et Armin Jordan qui a dû s'en délecter. C'est un véritable bonheur, une vraie félicité (sans jeu de mots !) que de pouvoir disposer à nouveau de ces joyaux parus originellement chez Virgin Classics, et peu importe si l'éditeur actuel ait considéré cette série de délicieuses mélodies pour chant et orchestre de chambre comme musique symphonique française…

Mais, cette production Warner Classics ne peut cacher ses négligences impardonnables. Pourquoi donc avoir omis la Rapsodie pour saxophone alto et orchestre de Debussy jouée par Claude Delangle, qui accompagnait l'œuvre sœur pour clarinette sur le microsillon original et avait pourtant facilement place ici ? Ensuite à aucun endroit du coffret ni de la plaquette n'est mentionné le nom du chanteur du Don Quichotte à Dulcinée de Ravel : il s'agit du baryton suisse . Plus grave, les deux œuvres de (CD3) et La Procession Nocturne de Rabaud (CD7) ont leur disposition gauche-droite des canaux stéréo inversée : basses à gauche et violons à droite… Nous supposons que ce n'était pas la volonté d'Armin Jordan ! Et enfin le bouquet final : au CD10, l'ordre de succession des cinq pièces de Ma Mère l'Oye de Ravel est erroné : Petit Poucet, normalement en deuxième position, se trouve relégué en cinquième place après Le Jardin féerique, donc comme finale timide de la suite. Cette erreur de montage est absolument inadmissible. Fort heureusement – et il ne manquerait d'ailleurs plus que cela – la seconde interprétation de Ma Mère l'Oye au CD12 est en séquence correcte. Nous ne félicitons pas les techniciens du son sans oreille de Warner, qui par comparaison des deux versions, ne s'en sont même pas aperçus.

 

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