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Les nouveaux mondes de l’Orchestre national de Lyon

L' poursuit sa saison avec bonheur, et explore des rivages lointains.

Voilà un plaisant rapprochement que celui de trois œuvres d'esthétiques si contrastées : trois peintures, espacées d'un siècle, de l'inconnu qui se dévoile. Chez Haydn, c'est la raison, à peine plus divine qu'humaine, qui permet que triomphe l'ordre sur les dissonances, et que l'informe devienne mélodie ; chez Dvořák, au contraire, c'est de façon toute intérieure et sensible, à travers le prisme du patrimoine tchèque, que sont appréhendées des terres vierges de passé, qui ruissellent de thèmes nouveaux ; chez Dutilleux enfin, plus d'harmonie victorieuse ni d'exil nostalgique, mais l'émerveillement, dans un monde finalement bien étroit, devant les derniers fragments d'un mystère qui s'estompe ; d'où le vers de Baudelaire qui orne le mouvement final, en guise d'avertissement : « Garde tes songes : / Les sages n'en ont pas d'aussi beaux que les fous ! ».

Face à un triptyque si profus, l' se montre tout à son aise. Les pupitres des cordes sont décidément ceux d'un immense orchestre ; ils se déploient en une étoffe vivante, une matière ductile, qui étonne par sa variété de couleurs et de nuances. Des crescendi brusques demandés par Haydn aux strates paisibles de l'Adagio de la Symphonie du Nouveau Monde, l'unité, le caractère, la justesse du son font les délices même de ceux à qui ces œuvres sont familières.

Dutilleux plus cohérent qu'habité

Rares sont les formations symphoniques qui peuvent se targuer de faire sonner la musique de Dutilleux dans toute sa richesse et son raffinement. Le succès, ce soir, est presque total. Portée par des bois et des percussions d'une précision incisive, la soliste traverse la partition avec détermination. Dans Regards, le dialogue avec la clarinette solo est parfaitement juste de ton, méditatif et pudique, vibrant de passion contenue ; ou dans Miroirs, avec l'atmosphère irréelle qu'invoquent harpe, célesta et xylophone, la ligne du violoncelle se déploie, impeccable de maîtrise. Pas de vide, donc, pas de temps mort, ou de morcellement excessif du discours ; non, le malaise provient plutôt, de la part d', d'un jeu un rien en retrait, engagé mais sans mordant, sincère mais sans fougue, trouble, mais sans folie. On peut percevoir chez la violoncelliste un fond de mélancolie (ou, plus simplement, de fatigue) qui, sans conteste, émousse la pièce, et sape ses élans poétiques.

L'Élégie de Fauré, donnée en bis, ne vient pas à bout de l'indifférence qui menace. Reste la Symphonie du Nouveau Monde – paradoxalement la musique la moins dépaysante qui soit, peut-être, puisque chacun de ses thèmes gît dans l'inconscient collectif d'aujourd'hui. Mais l'enthousiasme est à la mesure du brio de l'orchestre, et de l'implication de , qui ne cherche pas la sophistication. s'est d'ailleurs glissée parmi le pupitre des violoncelles, pour participer avec eux à cette épopée au lyrisme inoxydable, et c'est ainsi que les applaudissements nourris du public ont salué, après Dutilleux, le retour de l'harmonie classique. « Heureux qui comme Ulysse… »

Crédit photographique : Anne Gastinel © annegastinel.com

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