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L’Opéra de quat’sous bleu argent de Bob Wilson

Pendant sa rénovation, le Théâtre de la Ville déplace L'Opéra de quat'sous au Théâtre des Champs-Élysées, sans profiter de l'occasion pour donner à l'œuvre toute son ampleur musicale. Le spectacle bénéficie d'une mise en scène sans surprise mais bien agencée par , dans laquelle la troupe du fait plus ressortir ses qualités d'acteurs que celles de chanteurs.

Créée pour un ensemble de sept musiciens de jazz du Lewis Ruth Band dirigé du piano par Theo Mackeben, l'instrumentation originale de l'Opéra de quat'sous de semble avoir été majoritairement privilégiée ce soir par les neufs instrumentistes du Dreigroschenoper Orchester pour cette production, par rapport à celle plus tardive pour vingt-trois instruments. Il faut donc prendre le spectacle déplacé de la Place du Châtelet vers l'Avenue Montaigne pour ce qu'il est : une proposition de théâtre bien plus que d'opéra.

Partant de ce postulat, inutile de tergiverser sur les attaques aléatoires des vents, les décalages rythmiques, et surtout de décrire des voix pour lesquelles ni les notions de gestion du souffle, ni celles des hauts aigus ne sont connues ou développées. Le chant porté au micro, souvent trop amplifié et trop modulé, est rendu sur des enceintes au grain assez moyen. Pour autant, les protagonistes sont excellents, à commencer par le Macheath de Christopher Nell, dont la plus belle musique vient de la déclamation absolument splendide du texte parlé de Brecht, tandis que le jeu nerveux de l'acteur trouve son paroxysme lorsqu'il imite Chaplin dans la scène de prison de l'acte II.

Autour de lui, une troupe engagée dont ressortent les deux parents Peachum et leur fille Polly s'adapte parfaitement aux exigences de , qui ajoute une histoire de plus à sa palette sans jamais créer aucune surprise pour celui connaissant ses spectacles précédents. Il reste alors à profiter de lumières toujours aussi splendides, notamment dans le traitement des contre-jours argent et des nuances bleues du fond de scène, mis en regard avec les néons servant à délimiter les éléments du décor. Cette intégration systématique et même systémique à l'univers de Wilson n'interdit jamais non plus le travail précis de l'artiste dans ses nombreux effets dramaturgiques et sonores, faisant ressortir avec brio certaines parties comiques de l'œuvre. Malheureusement, la représentation de presque trois heures perd parfois en rythme, et la démarche de souvent ralentir les airs principaux ne trouve pas toujours les résultats escomptés, tout particulièrement dans une Chanson de Salomon bien fade tenue par la Jenny d'Angela Winkler avant le troisième et dernier finale.

Sous l'angle de l'opéra, il aura donc manqué une véritable qualité musicale à cette représentation ; sous celui du théâtre, le Faust présenté quelques semaines plus tôt à Paris relègue à lui seul la proposition de l'Opéra de quat'sous comme assez mineure dans l'œuvre du grand metteur en scène, même si l'on garde en souvenir la qualité de traitement du tableau des prostitués à l'acte II.

Crédits photographiques : © Lucie Jansch ; © L. Leslie-Spinks

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