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Musiques viennoises version Rattle à Berlin

Une soirée viennoise pleine de contrastes pas toujours convaincants à la Philharmonie de Berlin.

La Onzième symphonie de Mahler, vraiment ? C'est ainsi que , au début du concert, a présenté la série de pièces pour orchestre de Schoenberg, Webern et Berg qui constituait la première partie de son programme, donné à Berlin une seule soirée avant de partir en tournée en Amérique du Nord pour une quinzaine de jours. Il n'est jamais faux de souligner l'importance de l'héritage malhérien pour les œuvres de ce que les contemporains qualifiaient d »école de Schoenberg » plutôt que d'école de Vienne, en en faisant volontiers un isolat privé autant de rapport à la tradition que de raison musicale. Rattle traite les trois œuvres de façon différenciée.

Les pièces de Schoenberg et Webern, les moins facilement admises aujourd'hui encore par le public, reçoivent les riches couleurs orchestrales de la tradition romantique (Brahms après l'entracte n'est pas là par hasard), avec un sens de l'atmosphère et de la continuité expressive très séduisant, et des contrastes entre les pièces qui mettent en évidence ce que Schoenberg n'a cessé de répéter : loin de n'être que l'application de théories musicales, elles sont de la vraie musique, sensible et expressive. La délicate et changeante fusion des timbres de la troisième pièce de l'opus 16 est suivie par l'acidité des cuivres de la quatrième, Péripétie, à peine atténuée le temps d'un épisode suspendu confiée aux cordes. C'est sans doute ainsi que leurs auteurs auraient aimé les entendre, et c'est magnifique.

La dernière des pièces de l'opus 6 de Webern est enchaînée sans pause avec les pièces de Berg, les plus gratifiantes et les plus aimées habituellement du public, les plus jouées aussi : Rattle leur applique un traitement exactement inverse, les privant de leurs séductions romantiques et soulignant au contraire leurs stridences et leurs déséquilibres. Des cordes éthérées, maigres plutôt que transparentes, n'offrent que peu de résistance à la prédominance des cuivres : quoi qu'on puisse penser des intentions de Rattle, il est difficile de trouver beaucoup de justifications à ce que l'orchestre laisse ici entendre.

Après l'entracte, la Symphonie n° 2 de Brahms promet une sorte de retour au romantisme. On ne peut reprocher à Rattle de laisser jouer les musiciens sans leur donner des impulsions personnelles : au contraire, ses choix sont audibles à chaque instant de la partition, avec des résultats très divers selon les mouvements. La rectitude et la rigueur des danses du troisième mouvement, qui ne manquent pas de noblesse, sont convaincantes autant qu'originales ; dans le second mouvement, le choix de privilégier une forme de tension dramatique, appuyée sur des cordes qui gagnent en prégnance sonore ce qu'elles perdent en transparence, a au moins valeur d'expérience souvent intéressante. Mais le premier mouvement, lui, tend un peu trop souvent à la confusion, et la manière dont il accentue les contrastes du dernier mouvement – pianissimo d'abord, fortissimo ensuite – brise le discours musical plutôt que de lui donner un surcroît de force. La symphonie s'achève dans les décibels déchaînés, plus que de raison. Une telle soirée est sans nul doute préférable à l'aimable routine que même de grands orchestres dirigés par des chefs sans ambition peuvent toujours offrir, mais les choix de ne convainquent pour autant que par intermittence.

Photo : Berliner Philharmoniker/Stefan Höderath

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