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Sortilèges 2.0 : Ravel à l’Opéra de Lyon

La nouvelle production de l'Enfant et les Sortilèges à l'Opéra de Lyon, quoique pleine d'originalité, demeure accessible à tout public.

Dans la musique de Ravel comme dans le livret de Colette, les fantaisies se succèdent à un rythme si effréné, qu'il est difficile à un metteur en scène de prêter attention à toutes. Puisqu'il ne se passe pas vingt secondes, féerie oblige, sans qu'un nouveau personnage ne fasse irruption sur scène ou qu'un événement spectaculaire ne précipite l'action, il faut bien que l'on choisisse quoi représenter ; et le reste ne peut consister qu'en omissions coupables, ou en allusions destinées aux meilleurs connaisseurs de l'œuvre. Quelle belle idée, donc, et bien digne de la ville où le 8 décembre voit tous ses bâtiments s'illuminer, que de confier à des projections le soin de transfigurer le réel le plus anodin pour le rendre aussi terrifiant qu'à l'« Enfant méchant » dans son accès de colère. Misant sur les prouesses qu'autorise aujourd'hui le numérique, propose une scénographie simple et géniale : l'orchestre, en fond de scène, est plus ou moins dissimulé derrière un immense voile légèrement translucide, autour duquel évoluent les comédiens, en costumes noirs unis ; les effets de lumière sont figurés sur le rideau, dans le sillage des personnages. De la sorte, par le simple jeu de projecteurs, un personnage peut apparaître alors qu'il était invisible dans la pénombre, se métamorphoser, déclencher des cataclysmes… La première scène « magique » voit par exemple une silhouette sombre environnée d'arabesques lumineuses devenir un fauteuil plus vrai que nature, qui se dandine avec des mines compassées et entraîne dans sa danse grotesque sa compagne la bergère Louis XVI.

On n'en finirait pas d'énumérer les trouvailles et les facéties qui s'enchaînent ensuite, et que le jeune public découvre émerveillé, scène après scène ; mais (pourrait-on objecter), n'est-ce pas en fin de compte un procédé trop facile, qui sacrifie l'opéra sur l'autel du cinéma ? Loin s'en faut, heureusement : c'est là que fait preuve de discernement artistique. Là où il pourrait surenchérir en multipliant les fébriles envolées de paillettes scintillantes – car les moyens que lui confère cette technologie semblent quasiment illimités –, il sait se contenter parfois de tableaux plus sobres, et trouver le parfait équilibre entre des séquences d'une virtuosité visuelle vertigineuse (l'Arithmétique, où les myriades de chiffres forment des volutes menaçantes autour de l'Enfant), et d'autres où des dessins seulement esquissés sollicitent l'imagination du spectateur (telle la scène des Pastoureaux, plus figée, plus distanciée, mais d'autant plus poétique). À chaque instant, la musique garde sa primauté, et les effets théâtraux ne sont pas moins soignés ; les trois quarts d'heure de la pièce s'enchaînent avec fluidité et naturel.

Des solistes impeccables

Le spectacle ne serait rien sans une distribution vocale proprement exceptionnelle. Alors même que l'orchestre peine à garder sa puissance d'expression intacte, dans le carcan des minutages rigoureux qu'impose la mise en scène, les solistes, eux, dont les déplacements sur scène ne sont pas moins prescrits, semblent à mille lieues au-dessus de ces difficultés. L'Enfant de possède, en plus d'une vraie présence scénique, une diction fabuleuse, et elle forme avec la voix légère de Rocio Pérez un passionnant duo, dans la scène de la Princesse. Lorsqu'arrive l'air fameux « Toi, le cœur de la rose », on se laisse saisir par la mélancolie ; l'évocation de l'apparition trop brève de la Princesse se conclut par l'envol, à l'écran, d'un simple cheveu d'or.

Les voix masculines sont de la même qualité. On retient spécialement les interventions d', dont le timbre chaud et puissant triomphe aussi bien de l'anglais macaronique de la théière en Wedgwood que des imprécations du Petit Vieillard de l'Arithmétique. Quant aux voix du chœur, elles manquent parfois de justesse et d'équilibre, mais trouvent à donner un excellent début de deuxième acte : après la violence du duo des Chats (accentuée ici à l'écran par l'inquiétant ballet de félins terribles), c'est un soulagement de trouver le calme paisible d'une nuit d'été ; la crise de la scène de l'intérieur débouche sur ce petit microcosme où tout est harmonie, comme en annonce de la rédemption finale de l'Enfant.

Crédits photographiques : © Jean-Pierre Maurin

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