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Une fièvre finnoise et russe illumine novembre à l’Auditorium de Lyon

Pour l', l'Auditorium de Lyon nourrit un compagnonnage avec d'excellents chefs, tel , également sollicité en qualité de chambriste. Et il convie de prestigieux orchestres et chefs étrangers : ce furent le Philharmonique de Saint-Petersbourg et son directeur musical, Iouri Temirkanov.

Mullova et Altinoglu : Sibelius autrement

Le lien que, depuis plusieurs années, l' tisse avec se densifie avec chaque nouvelle invitation. Témoin une Symphonie n° 2 de Brahms, toute de limpides enjeux compositionnels, de ductile précision rythmique et de matière sonore chatoyante autant que vive. Un régal.

Témoin, également, un Concerto pour violon de Sibelius dans une vision profondément renouvelée, que et ont intensément partagée. Cette œuvre leur est moins un concerto qu'un poème – lyrique et rhapsodique – avec violon principal. L'attestent ces nombreuses et denses sections, qui sont tous sauf des immixtions entre des rocs solistiques, tant le minéral art orchestral de Sibelius y éclate. Pour ne pas demeurer une pétition de principe, cette pensée impliquait une réalisation où la souplesse était primordiale. Ce fut le cas. Le soliste a changé de statut ; il n'a plus été cet usuel héros, triomphant et souffrant, auquel, fasciné, l'auditeur s'identifierait ; il a été ici un aède qui, médiateur, a porté haut le chant lyrique d'un ample rhapsode. Puis, dans les passages solistes, la violoniste s'est ménagé une large agogique pour exprimer son chant ; il revenait alors au chef de respecter ces méandres de tempi inventés dans l'instant, sans jamais désagréger l'œuvre, tâche dont Alain Altinoglu s'acquitta à merveille. Enfin, la matière orchestrale devait assumer cette souplesse par un effectif allégé de cordes (en ce cas : 12, 10, 8, 6 et 4), sans renoncer à l'impérieuse minéralité sibélienne. Saluons  : elle sait sa projection sonore modérée et la compense au centuple par une humaine et pudique musicalité qui attendrirait les plus compactes banquises. Ainsi lyriquement déclamé et quasi-chambriste, le Concerto pour violon de Sibelius quitte le champ des batailles héroïques et gagne l'éternité de la mémoire.

Gubisch et Altinoglu : la joie de la musique de chambre

Le lendemain matin, Alain Altinoglu se mettait au clavier et, avec trois cordes de l'. Tous donnèrent une lumineuse interprétation du Quatuor, pour piano et cordes n° 1 de Mozart : un Allegro très construit, un Andante chantant et intime et un Rondo riche d'élans juvéniles. Suivit le fameux recueil Folk Songs (automne 1963) que Berio composa durant cette année universitaire 1963-1964, à Oakland, lorsque lui confia l'intérim à sa propre chaire de composition. En Californie, Berio découvrit une situation (impossible en Europe) par laquelle une jeune nation patrimonialisait, instantanément et uniment, toutes ses musiques (classique, contemporaine mais aussi celle promue par l'industrie du disque et de la radio). Folk Songs accueille (en les harmonisant et en les instrumentant) toutes sortes de musiques ethniques, quand Berio ne lui ajoute pas quelques pièces de son cru. Probablement est-ce à ce moment que le compositeur débuta cette quête d'une « bibliothèque universelle subjective » (formidable oxymore borgesien) qui allait le tarauder jusqu'à son souffle.

Grâce à (voix ludique, polyglottisme précis et intelligence théâtrale), aux membres de l'Orchestre national de Lyon (Lise Niqueux et Édouard Sapey-Triomphe s'y sont particulièrement distingués) et à Alain Altinoglu, ce recueil a palpité de vie.

Temirkanov et le Philharmonique de Saint-Pétersbourg 

Deux jours plus tard, l'Auditorium de Lyon débutait son Festival Russe (8 novembre au 5 décembre). Ouverte par le Philharmonique de Saint-Pétersbourg et Iouri Temirkanov, cette manifestation accueille également le , , Mikhail Rudy et Grogori Sokolov, tandis que l'Orchestre national de Lyon donnera une intégrale des symphonies de Tchaïkovski.

Dans cette vaste salle de concerts ovoïde, entendre le Philharmonique de Saint-Pétersbourg fut une passionnante expérience. Refusant tout gradin (sauf pour les percussions), il joue à plat : le quatuor-à-cordes est disposé à l'allemande, les contrebasses sont situées à jardin (derrière les premiers violons), tandis que, groupés et compacts, bois et cuivres sont situés à cour. Le but est évident : favoriser des cordes homogènes et denses, surtout au regard de leur nombre (17, 15, 13, 11 et 9). Est-ce utile de préciser qu'il est atteint ?  La partie vouée à Tchaïkovski a été magnifique. Y compris le Concerto pour piano n° 2 dont le géant Boris Berezovsky, placé au milieu de l'océan de cordes, a (presque) fait oublier les faiblesses quais-létales. Dans la seconde partie, Ravel a bénéficié de ces somptueuses cordes, alors que les bois ont signalé une légère fragilité (sauf les bassons). Quant à Iouri Temirkanov, qui connaît bien cet orchestre pour en être le directeur musical depuis presque trois décennies, il a dirigé en talentueux Kapellmeister : en toute cohérence, il se dispense de tout ego et poursuit une pensée musicale et des actes artisanaux appris au sein du système académique soviétique. Le souffle long de l'Histoire…

Crédit photographique : Alain Altinoglu (c) Pierre-Yves Rambaud ; Iouri Temirkanov (c) Camillia Giannelli

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