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Lazkano et Pintscher par les forces de l’EIC

Le « portrait Lazkano » décliné en trois concerts par le Festival d'Automne s'achève à la Cité de la musique avec l'. Trois pièces du compositeur basque, parmi les quatre entendues ce soir, appartiennent à la collection Les Laboratoires des craies, vaste ensemble de cinq cycles inspiré par le laboratoire expérimental du sculpteur basque Jorge Oteiza (1908-2003). Cycle également, le triptyque sonic eclipse de met en vedette les solistes (trompette) et (cor).

La lumière est tamisée et l'espace confiné pour la première oeuvre du concert : Errobi-2 de Lazkano est une pièce de la Collection Laboratoire des craies. C'est un trio pour flûte basse, clarinette basse et piano, des instruments que le compositeur semble affectionner particulièrement. Ils engendrent une matière mouvante, agitée de remous obscurs qu'infiltre l'énergie, celle des traits fusée du piano et du souffle de la flûte. L'interprétation habitée des trois solistes (, et ) magnifie la plasticité d'une écriture étonnamment ciselée. Le titre d'Izarren Hautsa (2014), aux résonances basques avouées, renvoie à un poème de Xabier Lete que chantait , l'un des plus célèbres auteur et chanteur du pays de Lazkano, à qui ce dernier rend ici hommage. Les six instruments convoqués font naître une constellation fragile au bord du silence, traversée de quelques surgissements aussitôt effacés : une manière de capter l'éphémère qui sollicite cette fois la direction aussi précise que lumineuse de . Participant de la « Collection », le cycle Egon (envol) prend des voies opposées à Errobi (Torrent) souligne Lazkano. Dans Egon-3, le flux est essentiellement discontinu, articulant de manière virtuose des morphologies sonores délicates et « friables » : frottements, crissements, poussière de sons, couleurs furtives sont autant d'éblouissements sonores issus d'un imaginaire foisonnant. Dans Egon- 4 (2011), l'ultime pièce et chef d'œuvre de la « Collection », Lazkano grossit l'effectif (de huit à treize instruments) et étire la durée (15 minutes). Dans ce « labyrinthe d'objets » plus virtuose encore, où la matière sonore atomisée acquiert une étonnante organicité, la tension s'opère et porte l'écriture instrumentale jusqu'à une jubilation sonore finale, ponctuée par le déchaînement très inattendu des tambours de peau. La qualité de l'interprétation laisse sans voix!

Sonic eclipse (2009-2010) de est une commande des Berliner Philharmoniker pour les 75 ans du regretté Claudio Abbado. C'est un cycle de trois pièces déclinant le phénomène de « l'occultation » propre à l'éclipse. Les deux premières pièces, celestial object I et II, mettent en scène un soliste (trompette puis cor) et l'ensemble instrumental. La troisième, occultation, opère la superposition progressive des deux parties solistes, moment clé de « l'éclipse », avant qu'ils ne se désolidarisent à nouveau. La trompette – éblouissant – s'inscrit sur une toile spectrale richement élaborée que Pintscher révèle par éclats successifs. Après des interventions ponctuelles (slap et figures énergétiques) la trompette a progressivement le dessus, la sonorité puissante et lumineuse du soliste embrasant l'espace de résonance. Non moins virtuose et impressionnant, le cor – impérial – déploie ses sombres figures dans un espace très discontinu, aux moirures étranges et mystérieuses, louvoyant entre silence et déflagrations bruyantes. Cor et trompette sont sur le devant de la scène dans occultation, un dernier volet très flamboyant voire onirique. Pintscher y instaure un processus d'intensification d'une puissance toute varésienne. Une figure répétitive et incantatoire y lacère l'espace. Elle monopolise peu à peu toute l'écriture instrumentale dans un élan dionysiaque auquel participent les deux solistes, héros de cette aventure stellaire impeccablement conduite par les forces de l'EIC et son chef compositeur.

Crédits photographiques : © Olivier Roller ; Matthias Pinstcher © Franck Ferville

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