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Une Turandot sacrifiée à Munich

Turandot est rare sur les scènes françaises depuis une dizaine d'années. Il faut donc se rendre à Munich pour entendre la grande tenancière actuelle du rôle, . Hélas, le choix de la version purement puccinienne, amputée du final d'Alfano, prive la soprano suédoise du triomphe auquel elle pouvait légitimement prétendre.

Nous ne reviendrons pas sur la mise en scène de , déjà commentée ici, si ce n'est pour en souligner l'indigence absolue, l'avant-gardisme de pacotille (3D sans aucun intérêt, costumes hideux et pas si futuristes que cela) et une agitation permanente qui tourne à vide, transformant l'œuvre de Puccini en une sorte de « Turandot on ice » assez risible.  On peut toutefois lui reconnaître une grande lisibilité dans sa transposition et le respect du livret dans ses grandes lignes.

Le seul intérêt de cette reprise résidait donc dans la présence de dans le rôle–titre, mais l'amputation du final d'Alfano fait s'achever l'opéra sur la mort de Liu qui voit, de fait, son rôle plus étoffé au détriment du rôle principal. n'a guère plus que son In questa reggia souverain, la scène des énigmes et de la torture de Liu pour faire exister sa princesse des glaces. C'est avec étonnement que nous avons perçu la relative froideur du public munichois à l'égard de la prestation de la soprano suédoise car tout y est : des aigus percutants qui émergent d'une voix magnifiquement projetée et moins métallique que d'autres titulaires du rôle, une véhémence qui se tinte de persiflage dans la scène des énigmes, le pathétisme des accents lorsqu'elle se tourne vers son père, et enfin les superbes nuances qui accompagnent la révélation du sentiment amoureux. En peu de scènes, Nina Stemme dresse un portait plus complexe et moins manichéen qu'à l'accoutumée et éblouit par une technique sans failles. Impressionnante et émouvante. C'est suffisamment rare pour le souligner.

A ses côtés, ne démérite pas dans le rôle de Calaf, omniprésent et très exigeant vocalement. Si on a entendu des « Nessum dorma » plus galvanisants, sa vaillance continue est à saluer tant dans les aigus, très souvent sollicités, que dans un phrasé raffiné et des nuances bienvenues, loin de l'histrionisme habituel. Le public munichois réserve un triomphe à la Liu de . Pourtant, rien que de très routinier face à ses deux collègues. Certes, la voix est belle et les sons filés bien exécutés mais on cherche en vain une émotion dans ce chant très propre mais totalement désincarné. Excellents vocalement, Ping (), Pang () et Pong () bénéficient en outre d'un très beau jeu de scène et d'une belle complicité. Le Timur de nous est apparu plus effacé contrairement aux brèves apparitions de l'empereur Altoum d'Ulrich Ress au sens déclamatoire stupéfiant.

Enfin, le chœur a une place très importante dans Turandot. Celui de l'opéra de Munich, magnifique de précision, assume parfaitement les variations imposées par l'œuvre entre effroi et condamnation, pitié et imprécation. Là encore, on peut regretter l'absence du final d'Alfano qui nous aurait permit de profiter un peu plus de cette splendeur. Enfin, la direction de est apparue au diapason de la mise en scène, spectaculaire, imposante (lourde ?) et un peu creuse aussi. Il a néanmoins su mettre en valeur les sublimes sonorités de l'orchestre et de la partition.

Cette soirée en demi-teinte nous aura au moins permit d'entrevoir ce que pourrait délivrer Nina Stemme si elle bénéficiait du rôle complet et d'une mise en scène moins racoleuse. Les maisons parisiennes seraient bien inspirées de nous offrir un tel cadeau.

Crédit photographique : © Wilfried Hösl

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