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Natalia Trull, une honnête intégrale Prokofiev

se mesure à une entreprise de taille : donner au disque la totalité des sonates de Prokofiev.

Le corpus des sonates de Prokofiev, joyaux essentiels du répertoire pianistique du XXe siècle, ne forme un tout que dans l'esprit de ceux qui aiment compter jusqu'à neuf. Écrites au fil de la vie du compositeur, ces œuvres disparates reflètent fidèlement ses tournants stylistiques : au post-romantisme de la Première (trop souvent reléguée au rang de curiosité), succède le lyrisme ironique de la période européenne, qui culmine avec la Troisième et la Quatrième ; puis vient la série, de la Sixième à la Huitième, des trois « sonates de guerre », nettement plus anguleuses et percussives, et qui exigent des interprètes une force physique hors du commun ; et enfin, la Neuvième est l'esquisse d'une dernière manière, un retour apaisé, quoique dicté par les canons soviétiques d'alors, à une certaine spontanéité néoclassique.

Une telle série de pièces, on le voit, ne peut être abordée qu'avec un solide parti-pris esthétique – et c'est ce qui fait peut-être défaut à . Cette pianiste, peu connue en Europe occidentale, poursuit, depuis son succès au concours Tchaïkovski de 1986, une carrière de virtuose en Russie, où elle enseigne et jouit d'une grande reconnaissance. Pas une faille technique dans son jeu ; mais ses neuf sonates sont un curieux mélange de fautes de goût, de trouvailles véritables, de tics d'un autre temps (cette manie de ralentir à la fin des morceaux), et plus souvent, d'un sérieux pianistique sans grande fantaisie.

Particulièrement emblématique est à ce titre la version qu'elle livre de la Septième sonate. Oublions le Precipitato final, son tempo insensé, ses octaves main gauche martelées au détriment de la continuité mélodique ; le joue hélas comme ce qu'il est devenu : un bis à la mode. En revanche, le premier mouvement contient de fort belles choses, telle cette façon menaçante de faire ressurgir le second thème, à la basse, au milieu du développement – quatre notes répétées comme un glas. Quel dommage que l'Andante qui suit ne soit pas aussi caloroso que Prokofiev l'a demandé ! Qui connaît les versions de Richter ou d'Argerich sait que son potentiel expressif pourrait être mieux exploité, et qu'un jeu trop lisse émousse ici les beautés de timbre que le compositeur a imaginées.

De cette intégrale trop inégale pour devenir une référence, on se plaira donc à retenir quelques perles – un finale de la Quatrième absolument superbe, notamment.

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