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Aurélie Dupont, divine Manon

a fait ses adieux à la scène de l'Opéra en mai 2015 dans le rôle de Manon dans le ballet de . C'est cette ultime interprétation d'une danseuse au sommet de son art, artiste jusqu'au bout des ongles, qu'il nous est possible de voir et revoir grâce à la sortie du DVD.

est de ces artistes qui marquent un rôle. Qui se l'approprient avec tellement de justesse qu'on a du mal à le voir incarné par une autre. Dans ce ballet qu'elle a si souvent dansé et qu'elle incarne pour la dernière fois avec , artiste invité pour danser à ses côtés le chevalier Des Grieux, elle donne peut-être encore plus d'elle-même, comme si la mort de Manon était une métaphore de sa propre disparition de la scène de l'Opéra.

emprunte son argument au célèbre roman de l'abbé Prévost, L'Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut, publié en 1753. Condamné pour son caractère sulfureux, le roman a été remanié et augmenté d'une préface où l'abbé Prévost tente de justifier les aventures qu'il relate par la leçon de morale que le lecteur est censé en tirer. « L'ouvrage tout entier est un traité de morale, réduit agréablement en exercice », y affirme l'auteur. Les égarements du jeune et vertueux chevalier Des Grieux sont causés par les excès d'un amour coupable pour la charmante Manon, aussi séduisante que dépourvue de vertu et de morale. L'ordre des choses sera rétabli par la mort de la pauvre Manon, déportée en Amérique. Inconsolable, le chevalier Des Grieux renoncera à l'amour terrestre pour se consacrer à la carrière ecclésiastique, suivant ainsi la voie tracée par son fidèle ami Tiberge.
a simplifié la trame de l'histoire, n'en conservant que les axes structurants et les personnages principaux. Simplifier l'intrigue est normal pour rendre le ballet compréhensible par la seule chorégraphie. On peut toutefois regretter la simplification du personnage de Manon, qui paraît beaucoup plus pure dans le ballet que dans le roman, où l'ambiguïté de son caractère est omniprésente. A la fois naïve et rouée, Manon aime Des Grieux mais son goût pour les richesses la pousse à trahir son amant à plusieurs reprises.

campe une Manon passionnément amoureuse, moins légère et frivole que dans le roman. Son interprétation est d'une intensité rare. Elle tourbillonne, vole dans les bras de son partenaire qu'elle enlace avec passion, comme si c'était la dernière fois, comme si Manon connaissait l'issue et savait que la mort, implacable, approchait.
Amoureuse passionnée, elle sait aussi se montrer séductrice cruelle, capable de faire souffrir son amant en affichant son triomphe mondain au bras du riche Monsieur de G.M.
Le bracelet de pierres précieuses que ce dernier lui a offert devient le symbole de ce goût pour les richesses qui la perdra. Ce n'est qu'après l'épreuve, l'expiation que Manon trouvera le courage de se débarrasser de ce bijou, de se dépouiller. Mais la faute a été commise et Manon est condamnée. Elle payera de sa vie le péché de luxure.
A ses côtés, a parfaitement su trouver les accents purs et naïfs du personnage de Des Grieux. Rêveur et romantique, le jeune homme, ensorcelé par les charmes de sa belle Manon, est prêt à tout pour la satisfaire, jusqu'à tricher, voler et même tuer. , virtuose techniquement, interprète son rôle avec beaucoup de spontanéité, d'enthousiasme et de fraîcheur.
, très juste dans ses intentions, interprète un Lescaut stratège, qui aime sa sœur mais n'hésite pas à se servir de ses charmes pour en tirer profit. Il manipule avec virtuosité les deux amants qui tombent dans ses filets. Sa maîtresse, , apporte une touche de légèreté dans le drame qui se joue.
est un M. de G.M, hautain, arrogant, plein de l'aplomb que lui confère son immense fortune.
Enfin, se métamorphose en geôlier brutal qui, voulant abuser de Manon, poussera Des Grieux à commettre un crime, ce qui obligera les amants à s'enfuir et se perdre dans les marécages de la Louisiane.
Dans le dernier acte, Manon, sale, en guenille, se rachète par la souffrance et meurt d'épuisement dans les bras de celui qu'elle n'a jamais cessé d'aimer.

Aurélie Dupont, saisissante Manon, meurt avec elle. Elle meurt à la scène de Garnier, qu'elle quitte comme une grande, dépouillée elle aussi de ses atours, parures et artifices, fragile avec ses cheveux coupés ras, les jambes dénudées, mais parée de sa beauté lumineuse et calme, de son élégance et de son talent.

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