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Dédale sonore et multicolore à la Philharmonie de Paris

La Philharmonie invitait la jeune génération des créateurs et les solistes de demain durant un week-end passionnant titré « Maintenant ».

À l'initiative de la violoniste Hae-sun Kang, soliste de l'Ensemble Intercontemporain et en charge du Diplôme d'Artiste Interprète (DAI) (répertoire contemporain) au CNSM de Paris, le spectacle Over the Rainbow convoque sept jeunes compositeurs et autant d'œuvres nouvelles où sons et couleurs – celles de l'Arc-en-ciel – vont se répondre. Sur scène, avec les interprètes du CNSM, Clément Lebrun nous guide dans ce labyrinthe coloré où les œuvres des ainés croisent celles des plus jeunes et leur font écho.

« Et si la lumière blanche devenait un son ? »

Il est drôle autant que passionnant, tant homme de scène que fin passeur. Maître d'œuvre de cette création visuelle et sonore, Clément Lebrun y est tout à la fois funambule, jongleur, magicien, performeur… Avec son micro et sa lampe torche, il nous parle de la lumière, blanche comme peut être le bruit blanc, ou diffractée en un faisceau de couleurs à l'image du spectre sonore déployé dans l'espace de résonance. Il mime, commente et rythme le spectacle, lui donnant cohérence et fluidité. Trois œuvres ont été choisies, qui sont jouées par fragments et réapparaissent comme autant de « refrains » dans cette ronde des couleurs et des sonorités. Prologue pour alto, extrait des Espaces acoustiques de , amorce logiquement cette trajectoire sous le bel archet de Leva Sruogyte, juste après la grande résonance spectrale d'un mi – emblématique chez Grisey -, obtenue par l'ensemble des musiciens en « lever de rideau ». Les Caprices pour violon de , explorant le registre aigu et subtilement voilé de l'instrument, reviennent également en alternance, dans l'interprétation sensible et raffinée de Naomi Likawa. Les Kafka Fragmente de György Kurtag s'immiscent enfin dans les interstices du grand puzzle sonore, aussi furtifs qu'énigmatiques, avec les sœurs You Kyung Kim (violoniste) et Youmi Kim (soprano) épatantes.

  À chaque œuvre sa couleur

L'arc-en-ciel des sept couleurs se déploie quant à lui sur toute la durée du spectacle, donnant lieu à sept pièces de petits formats (4′). Elles sont fort bien défendues par les jeunes talents du CNSM excellemment préparés par leur professeur Hae-sun Kang. (également notre confrère) a choisi le violet et ses moirures délicates pour son superbe sextuor à cordes Canto. Dans un traitement délicat de la texture des cordes où affleure toujours la ligne mélodique, Sitzia instaure un lent processus de transformation au cours duquel la matière s'obscurcit en se densifiant jusqu'à la cristallisation finale. En contraste total, c'est une musique de gestes et de tâches colorés qu'imagine dans Indigo, convoquant trois trios instrumentaux. Préférant le vert, conçoit sa partition, intitulée IIIe partie : Pixels de statique, autour d'un poème dit et chanté par la voix émouvante de Youmi Kim. Flûte à coulisse et appeaux introduisent des bruits de nature au sein de l'écriture instrumentale. Le jaune vif comme le citron prévient Clément Lebrun ! Der Gelbe Klang d', reprenant le titre d'un tableau de Kandinsky, mobilise le saxophone soprano et l'accordéon dans un duel presque acrobatique. L'orange devient Organe pour la pièce à deux violons de , privilégiant la matière sèche et crépitante des cordes qui projettent leurs éclats multiples. Dans Sanguine pour accordéon, trompette bouchée et alto, cherche la fusion des timbres en explorant les seuils : musique liminale aurait dit dont le souvenir plane sur l'ensemble du spectacle. Le rose fait polémique – via les commentaires de Clément Lebrun – s'agissant des couleurs de l'arc-en-ciel. Il n'en est pas moins choisi par dont l'écriture virtuose et aventureuse réclame six violons. Louvoyant entre surface lisse et déchirure, pointillisme et maillage raffiné, la pièce est élégamment conduite et dûment maîtrisée par ses interprètes.

Du Prologue à l'Épilogue

Quatre autres pièces, inscrites celles-ci au répertoire de la musique d'aujourd'hui, viennent enrichir la toile sonore. De , directeur du CNSM de Paris sans qui, rappelons-le, le DAI (répertoire contemporain) n'existerait pas, deux des Cinq Pièces pour Paul Klee sont données avec un panache étonnant par le violoncelliste et son partenaire pianiste . In memoriam , ce sont des extraits du Dialogue de l'ombre double qui résonnent au saxophone () et à la clarinette (). et mettent toute leur énergie dans Prism 2 pour deux marimbas de , une pièce spectaculaire magnifiant le geste volubile des deux percussionnistes aux quatre baguettes.

L'épilogue est à la hauteur du prologue avec la glorification du chiffre 7 (Counting to seven) via les exercices de numérologie du très charismatique : une performance qui réunit l'ensemble des interprètes – dont on ne peut ici donner tous les noms – et suscite même la participation du public ! Saluons toutes les contributions à ce spectacle d'une intensité rare, porté par l'énergie de la jeunesse et la vitalité de son engagement.

Crédit photographique : Clément Lebrun © Jean-Paul Lefret

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