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Jardins d’hiver à la Biennale d’art vocal avec les solistes de l’EIC

Fourmilière de spectacles autour de la voix dans tous ses états, la Biennale d'Art Vocal de la Philharmonie de Paris a permis à l' de donner le week-end dernier deux visions de la vocalité. Plongeant dans ses racines, le premier concert intimiste des solistes de l'Ensemble offrait une alternance savoureuses d'œuvres de Pintscher, Purcell et Ravel sous le titre « Jardins divers », tandis que les « Turbulences vocales » du lendemain laissaient place à une longue traversée de Josquin Desprez à Franck Bedrossian.

Ce programme original s'ouvre avec le virtuose nemeton (2007), toccata pour percussions (un instrumentiste) de . Inspirée par les énergies essentielles des anciens Celtes, on regrettera de cette œuvre minérale une trop grande gratuité dans ce qui peut apparaître comme une logorrhée virtuose. La matière devenant plus significative dans des atmosphères calmes. Après un O Solitude, my sweetest choice de Purcell qui permet d'introduire la voix du sopraniste Yaniv d'Or, ainsi qu'une ambiance particulièrement intimiste du continuo de l'EIC ( et dont le jeu fragile n'aurait pas été renié par Gérard Pesson), Vassilakis quitte le clavecin pour le piano placé dans un halo bleuté côté cour, pour donner la création française de la récente oeuvre de Pintscher Whirling tissue of light (2013). Inspiré des vers d'Ezra Pound (« Le tissu tourbillonnant de la lumière est tissé et croît solidement en dessous de nous »), cette pièce brève (7 minutes) développe dans une esthétique très « post-boulezienne » un climat de résonance continue, et là aussi une sorte de toccata, mais bien plus séductrice que nemeton, où le matériau est constitué d'arpèges se déployant perpétuellement, comme des houles de lumières. Le très clair Fairest Iles de Purcell tiré du semi-opéra King Arthur clôture cette première partie, avec tout le sucre d'extrêmes ralentis du sopraniste anglo-israélien.

La musique de reprend la main après l'entracte avec Uriel (2012), pièce pour violoncelle et piano inspirée par la toile éponyme du peintre expressionniste abstrait Barnett Newman. Sans nous étendre sur une pièce dont nous chroniquions récemment la parution au disque, on se souviendra dans cette version live du jeu venimeux d' et du toucher félin de Dimitri Vassiliakis. Une musique de la sensation, exacerbée par ses interprètes.

Le piano cristallin de Vassilakis poursuit avec les Jeux d'eau de Ravel aux phrasés subtils et raffinés, le pianiste prenant un plaisir manifeste dans l'interprétation de cette œuvre hédoniste (le lien se fait alors nettement avec Whirling tissue of light de Pintscher). Le voyage continue avec une série d'œuvres de Purcell, deux airs et deux « grounds » pour clavecin seul. On retiendra notamment un Sweeter than roses dont la réalisation au piano était l'œuvre d'un suave et romantique, ainsi qu'un poignant O let me ever weep, tiré de The Fairy Queen, où le contre-ténor Yaniv d'Or, en vrai sopraniste, fait son miel des douces dissonances doloristes et des lignes vocales si raffinées chez Purcell.

Concluant cette traversée verdoyante et intimiste, The Garden (Memento) de , cantate de poche de 10 minutes pour contre-ténor, piano et percussions, offre l'image d'un jardin zen sous la pluie. Inspirée par les derniers instants du cinéaste et écrivain britannique Derek Jarman et de son ouvrage A Garden Book, la pièce de Pintscher dispose les trois instrumentistes aussi loin que possible les uns des autres sur scène, donnant ainsi l'impression d'un espace infini, métaphore de la vie et de la mort, où le temps semble suspendu dans une musique solitaire, translucide et chuchotée. L'œuvre s'achevant sur ces doux vers: « Chaque mot un rayon de soleil / Brillant dans la lumière / Voilà la chanson de Ma Chambre ».

Crédits photographiques : Portrait de Matthias Pintscher © Felix Brofdf / Yaniv d'Or, et en répétition pour le concert « Jardin divers » © Luc Hossepied. 

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