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Le Staatsballett de Berlin aux couleurs de la France

Le 22 janvier, c'était le premier tour des primaires PS mais aussi (et surtout) le 54e anniversaire de la signature du Traité de l'Élysée, scellant l'amitié franco-allemande. Pour l'occasion, le Staatsballett de Berlin s'était mis aux couleurs tricolores en invitant deux danseurs français et chorégraphes phare à entrer au répertoire de la compagnie. Au menu de cette soirée, Altro Canto de et Daphnis et Chloé de . Historique quand on sait que seul le Français Maurice Béjart, chorégraphe majeur de la danse néo-classique, pouvait jusqu'alors se targuer de faire partie du répertoire berlinois (avec Ring um den Ring) !

Le style chorégraphique de , ouvert à la diversité, pourrait se définir par une gestuelle puissante à la fluidité inégalée qui épouse l'esprit des danseurs et danseuses. Avec Altro Canto, le chorégraphe mise sur une écriture pure, introspective et éblouissante d'obscurité. Une danse tout en contrepoint où le spirituel de l'âme fluctuante et la grâce du mouvement continu ne font plus qu'un. La gestuelle, subtile, est d'une précision inouïe comme le prouve ce trio, enlevé et ludique : Arshak Ghalumyan, et donnent une intention toute particulière au pas et à l'ondulation de leurs bras.

Soucieux du détail, Maillot travaille la courbe du mouvement, sculpte le dessein du geste, avec beaucoup de liant. Il aime souligner « qu'il ne s'agit pas de « faire » simplement des mouvements, mais de les laisser devenir, d'entendre ce que la musique appelle en soi de fondamental, d'aller aux épanchements… » Sa danse est souple et précise à la fois. Maillot ne délivre pas de message, délaisse la pantomime pour une danse amplement évocatrice au travers de laquelle il se perçoit plus comme un médiateur : « Ce sont les mouvements qui écrivent le poème. Je ne fais que le tracer. » Et c'est savoureusement réussi quand , soutenue par Arshak Ghalumyan et , s'élève dans les airs et frôle de ses pointes les mains de ses compagnons, tel un escalier qu'elle monte et descend !

D'une grande justesse, la soliste se fait étonnement remarquer par son interprétation et sa technicité. Son pas de deux « dominateur » aux côtés de séduit, captive. Les ensembles, les quatuors, les trios se succèdent en canons. Le mouvement devient alors perpétuel comme si l'enchaînement des pas continuait hors scène, dans les coulisses. Les costumes, signés , brouillent les genres comme pour mieux souligner la part de féminité du danseur et celle masculine de la danseuse. Les notes de nous plongent dans un recueillement universel. Elles traversent tout naturellement les interprètes dont les corps frémissent et se figent. Éclairés par des bougies suspendues qui montent et descendent, ils s'accentuent, entrent en tension, se fouillent et se confondent, transpirent d'émotions : une troublante osmose chorégraphique (malheureusement dépourvue d'orchestration live).

En seconde partie de soirée : Daphnis et Chloé de , créé en 2014 au Ballet de l'Opéra de Paris pour 26 danseurs et danseuses. Le style est résolument néo-classique et clairement influencé par Balanchine et Robbins. Douceur et fougue s'y côtoient avec homogénéité et cohérence. La Symphonie chorégraphique (avec chœur) de (ici dirigée avec justesse par Marius Stravinsky face à l'orchestre de la Deutsche Oper) a été composée en 1912, à la commande de Serge de Diaghilev pour les Ballets Russes. C'est alors Michel Fokine qui chorégraphie ce pastoral roman grec, écrit aux IIe ou IIIe siècles après Jésus Christ. Cette histoire d'amour d'une grande sensualité juvénile ne cessa depuis d'inspirer de nombreux chorégraphes, de Lifar à Skibine en passant par Neumeier et même Maillot ! Millepied se concentre sur la partition et lisse le propos : focalisation sur le couple Daphnis / Chloé, capture de Daphnis par Bryaxis, intervention de Pan juste suggérée par un effet lumineux, bacchanale finale enivrante. Un ballet toutefois en demi-teinte, dont l'originalité chorégraphique déçoit un peu comparée aux artifices scénographiques.

Les costumes de sont d'une élégante simplicité, surtout les longues robes légères aux emmanchures américaines. L'épuré univers noir et blanc de Daniel Buren (dont on commence depuis trop longtemps à se lasser…) évolue au rythme des coucher et lever du soleil pour terminer en apothéose chatoyante et exubérante. L'écriture de souligne des mouvements simples, sans virtuosité superflue (, en chef des pirates, n'en finira toutefois plus d'emballer le public à la fin de son manège de grands jetés en tournant !). Nous apprécions l'éclectique couple Lycéion / Dorcon ( / ), espiègle et impétueux, en phase avec le propos scénique. Le corps de ballet est musicalement harmonieux, ce qui n'est pas une mince affaire ! Les nymphes qui consolent Daphnis sont, quant à elles, oniriques à souhait. Le couple Daphnis / Chloé ( et ) manque un peu d'adresse dans leurs rôles. En d'autres termes, l'interprétation est encore à creuser…

Crédits : Photos © Yan Revazov ; Vidéo ©

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