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Les Siècles pour Ligeti

L'orchestre Les Siècles, reconnu entre autre pour son engagement atypique à défendre le répertoire moderne sur instruments d'époque, nous propose un disque consacré au répertoire de la deuxième moitié du XXe siècle avec un programme dédié à la musique de chambre du compositeur hongrois György Ligeti (1923-2006). Menés par leur chef et fondateur François-Xavier Roth, les solistes de l'orchestre repartis en groupes chambristes nous livrent un enregistrement d'une rare qualité qui force l'admiration.

Pour cette belle monographie, trois œuvres appartenant à deux « manières » du compositeur nous sont proposées et ordonnancées comme une arche allant du quintet à vent à l'orchestre de chambre.
Ce chemin débute avec les Six bagatelles pour quintette à vent composé en 1953 d'après six des onze pièces pour piano solo que compte Musica ricercata (1951-53). Ici les solistes des Siècles font preuve d'une vivacité rythmique et d'une clarté de jeu qui rendent hommage au caractère « naïf » et provocateur de cette oeuvre de jeunesse qui fut censurée jusqu'en 1969. L'équilibre des voix et des timbres rendu par le quintet offre une lecture renouvelée et aérée d'une oeuvre qui souffre trop souvent d'appesantissements et nous livre ainsi tout les détails de l'écriture du premier Ligeti.

Le célèbre Kammerkonzert pour treize instrumentistes poursuit ce chemin musical prometteur. Cette oeuvre de 1970 en quatre mouvements constitue un véritable jalon dans l'histoire de la musique et consacre l'aboutissement d'une deuxième « manière » du compositeur hongrois. Ici Roth et Les Siècles subjuguent dès le premier mouvement grâce à une formidable construction des textures  orchestrales tout en conservant le contrôle dynamique et formel de ce grand déploiement contrapuntique, offrant ainsi une clarté d'écoute rare pour cette oeuvre.
Dans le deuxième mouvement une expressivité travaillée permet de conserver une couleur instrumentale homogène tout en faisant ressortir pleinement les fragments mélodiques, apportant ici le lyrisme nécessaire à l'écoute de cette oeuvre dans sa grande forme. Le troisième mouvement, inscrit dans une écriture verticale et obsessionnelle, exige une grande rigueur rythmique et dynamique que les instrumentistes et leur chef transcendent. L'équilibre harmonique est saisissant et le choix d'une interprétation plus analytique permet un contraste bienvenue dans l'écoute globale de l'œuvre.
En conclusion, le quatrième mouvement confirme toute les qualités énoncées précédemment tout en offrant une lecture des plans timbraux et sonores très contrastée ce qui permet à l'architecture de ce Kammerkonzert de se déployer comme un récit limpide, permettant à tout auditeur de cheminer au sein de ce kaléidoscope sonore.

Pour finir, les Dix pièces pour quintette à vent (1968) nous permettent de façon concrète d'effectuer une synthèse des deux œuvres précédentes. Ici encore les solistes des Siècles nous livrent une interprétation précise et maîtrisée. Les dix pièces courtes alternent écriture de groupe et pièces « concertantes » destinées à chacun des instruments du quintet. La conduite formelle claire ne cède en rien à l'exigence de l'écriture qui aime jouer sur les contradictions de la tessiture naturelle des instruments et du registre de jeu qui leur est imposé par le compositeur. Le dernier mouvement, noté Presto bizzaro, conclu très théâtralement cette oeuvre dont Ligeti prit soin de noter sur la partition une citation de Lewis Caroll : «…mais… » il y eut une longue pause « C'est tout?  » demanda Alice timidement {…}.

Alors gageons que Les Siècles et nous offriront d'autre enregistrements aussi brillants portant la musique d'hier et d'aujourd'hui avec cet engagement qui les caractérise.

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