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Œuvres pour piano d’Hélène de Montgeroult par Edna Stern

La redécouverte d'œuvres d' au milieu des années 2000 a fourni un maillon qui comble, considèrent certains musicologues, l'histoire du clavier dans la période de passage du classicisme au romantisme, de Mozart à Chopin.

Née dans une famille de la noblesse et mariée à un marquis, elle fréquente un milieu cultivé et devient « la plus grande pianiste de son temps » d'après les habitués des salons. À cause de son rang, la marquise n'a jamais donné de concert public ; victime des bouleversements sociaux, elle est arrêtée par les Autrichiens en 1793 et son mari meurt dans les geôles autrichiennes. À son retour en France, alors qu'elle est mise en accusation en tant que noble ayant voulu fuir la France, on lui aurait apporté un piano  au tribunal révolutionnaire sur lequel elle aurait improvisé sur La Marseillaise ; cet épisode n'a toutefois jamais été avéré. Elle est acquittée et nommée plus tard professeur de piano au Conservatoire. Elle en démissionne toutefois trois ans plus tard « probablement parce qu'elle n'avait pas la même conception du jeu pianistique que ses collègues », précise Jérôme Dorival, auteur du livre La Marquise et La Marseillaise. En effet, sa méthode de piano, commencée en 1788 et publiée entre 1795 et 1816, demeurée encore aujourd'hui comme une gigantesque et rare somme pianistique, révèle son écriture audacieuse et moderne, bien qu'attachée également à la tradition classique. Son œuvre comprend 711 pages en 3 volumes, avec 114 Études, 4 Thèmes variés, 3 Fugues, 1 Fantaisie, 9 Sonates pour piano (dont une avec accompagnement de violon), 1 Grande Pièce pour le forte-piano et 6 Nocturnes pour voix et piano. Avant 1800, elle avait une connaissance approfondie de l'œuvre pour clavier de Bach, bien avant sa « redécouverte » par Mendelssohn. On la compare à Schubert, Chopin, Schumann, Mendelssohn ou encore Brahms, « mais s'il y a l'inspiration, c'est du côté de ces derniers car lorsqu'elle composait ces pièces, ils n'étaient même pas encore nés ! » lance la pianiste tout au début du récital.

Elle propose un programme qui met en évidence la filiation de la compositrice avec la musique de Haydn, Schumann, Brahms et Mendelssohn, du classicisme au romantisme, en alternant les pièces de ceux-ci et de Montgeroult. Son interprétation est en général bien « romantique », avec des changements de tempi — il ne s'agit ni d'agogique ni de rubato — dans Andante et variations de Haydn ou le thème et certaines variations des Variations sérieuses de Mendelssohn, ou Fugue en fa mineur de Montgeroult pour laquelle nous imaginons plus de rigueur dans l'allure rythmique.

L'instrument choisi est un piano à queue Pleyel construit vers 1860, faisant partie de la collection du Musée de la Musique. Il est beaucoup plus tardif que l'époque de la composition de la plupart des pièces entendues, ayant une sonorité riche, avec les graves qui portent. L'utilisation fréquente de la pédale forte par renforce la résonance et brouille quelque peu certains passages (gammes ou arpèges rapides, accords). En revanche, la légèreté du toucher exigée par l'instrument par rapport au piano moderne, dont la pianiste tire un beau profit, suggère une autre écoute d'œuvres que nous croyons souvent bien, même très bien, connaître.

Pour répondre à l'enthousiasme du public, la pianiste donne quatre bis : deux Études de Chopin et deux de Scriabine, pour passer, nous semble-t-il, définitivement le flambeau de la modernité, lancé par la compositrice, aux Romantiques.

Photo : Portrait de la mère de His de la Salle, Madame , par Richard Cosway © Musée du Louvre, dist. RMN-Grand Palais – Photo M. Beck-Coppola

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