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Roustem Saïtkoulov réveille les pantins de Schumann et Stravinsky

Devant le public de la salle Gaveau, le pianiste russe s'est révélé décevant dans Scriabine, mais captivant dans le tableau coloré et contrasté de la pantomime du Carnaval et surtout de Petrouchka.

La Sonate n° 30 de Beethoven ouvrait le concert, avec un début assez libre dans son tempo conférant au premier mouvement une urgence inquiétante qui préfigurait le mouvement Prestissimo. Après un silence, l'Andante et ses variations sont d'interprétation très claire, avec une articulation élégante et de beaux phrasés, un beau sens de l'architecture du texte.

Après le Prélude assez emporté, s'installe la galerie de personnages et de tableaux fantasques du Carnaval de Schumann : Chiarina, interprétée avec une sentimentalité assumée, Florestan, avec fougue, Eusebius, avec une belle délicatesse de toucher et un sens du recueillement, mais surtout, Pierrot, Arlequin ou Coquette qu'il fait articuler ou bondir, comme il le fera de Petrouchka à la fin du concert. Le pianiste semble privilégier l'aspect théâtral de la pantomime à l'allant et à la fièvre : ASCH, lettres dansantes, n'est pas vraiment presto, Paganini ou la Marche des Davidsbündler gardent un accelerando sage, dans un ton martial. Le pianiste (par volonté ou fatigue ?) prend son temps entre toutes les pièces, cassant parfois un peu certains enchaînements. Aussi est-ce véritablement avec Trois mouvements de Petrouchka, en fin de concert, que nous montre tout son sens de la narration : ruptures et contrastes, énergie, percussion et puissance – derrière une sobriété du geste – appropriées à Stravinski. C'est l'envers festif (quoique non dépourvu de motifs inquiétants), foisonnant et moderne de Carnaval. Aussi est-il presque dommage de poursuivre en bis avec Chopin, dont la beauté de l'interprétation est fidèle à son enregistrement de 2013, mais qui nous ramène vers la mélancolie romantique.

Seules les études de Scriabine suscitent une petite déception. Certes, le pianiste déploie une agilité impressionnante dans le flot continu des notes et parvient à créer une texture moelleuse, fluide, associant pédale et articulation avec bonheur. Pourtant le manque du lyrisme, les plans sonores relativement confondus et une certaine uniformité dans le choix des tempos, suscitent finalement un certain ennui.

Malgré quelques effets de lumières psychédéliques peu convaincants, laissant la salle et parfois le pianiste plongés dans le noir, ne boudons pas notre plaisir. Ce concert donne l'occasion de retrouver en soliste (Saïtkoulov se produisant souvent comme accompagnateur de Vengerov) un pianiste mature qui allie une rigueur d'interprétation et une évidente sensibilité, au service d'une narration vivante et prenante.

Crédit photographique : Roustem Saitkoulov © Eric Legouhy

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