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À Genève, Joyce DiDonato dans la joie du chant

En dépit d'un accompagnement orchestral laborieux, la mezzo-soprano américaine , en grande professionnelle, s'impose dans un récital de très bonne tenue.

Après les années de travail pour obtenir l'instrument avec lequel on arrive à tout raconter, à émouvoir un public, à s'émouvoir soi-même, comme ce doit être jouissif de pouvoir en profiter pleinement. C'est l'impression évidente que laisse la mezzo-soprano dès qu'elle lance un saisissant Ai ceppi ed al supplizio… de son Ove t'aggiri, o barbaro de . Si son entrée sur la scène du théâtre, vêtue d'une longue robe de mousseline orange, révèle immédiatement l'extraordinaire charisme de l'Américaine, ses premières notes sont d'une telle intensité, d'une telle beauté et d'un tel éclat qu'elles forcent l'admiration en même temps qu'elles nous submergent d'émotion.

Il faut dire que le contraste musical est éloquent. En effet, en ouverture de concert, l' s'attaque à la populaire Ouverture de Guillaume Tell de Rossini. D'emblée on prend conscience des difficultés que rencontre l'ensemble genevois face à la virtuosité nécessaire au découpage de cette musique. Les décalages sont nombreux, les pupitres se cherchent, les niveaux sonores entre eux inconstants, l'unité des timbres défaillant jusqu'à la justesse de certains solistes qui laisse à désirer. Et que dire de la musicalité besogneuse d'une partie des percussions ? De son côté, le chef autrichien semble être au pupitre plus pour battre la mesure que pour donner des impulsions, des couleurs à son orchestre.

Mais, cette indigence orchestrale ne semble pas trop gêner une en excellente forme. Si elle fait preuve d'une extrême sensibilité dans les cantilènes des Nozze di Lammermoor de Carafa et d'un phrasé de rêve dans l'air de Susanna Giunse alfin il momento des Nozze di Figaro de Mozart, on imagine mal ce que la mezzo américaine peut apporter de nouveau dans l'air de Rosine Una voce poco fa tiré du Barbiere di Siviglia de Rossini chanté par les plus grandes cantatrices. Là, elle s'avère renversante, époustouflante ! Avec ses vocalises totalement libérées, personnelles, elle réinvente l'air. Quelle verve, quel entrain, quelle joie dans le chant !

En seconde partie, Joyce DiDonato fait une incursion dans l'opéra français avec le monologue Je vais mourir… et l'air Adieu, fière cité de l'opéra Les Troyens de . Si la projection vocale reste impressionnante de puissance et d'intensité artistique, la mezzo américaine semble moins à l'aise avec le son particulier de l'opéra français. Offrant sans compter son legato magnifique, elle se contente pourtant d'un chant qui manque quelque peu d'investissement. Certes, ici encore, l'orchestre n'apporte qu'un pâle soutien à la déclamation lyrique. N'espérant pas une symbiose avec l'ensemble, Joyce DiDonato poursuit son chant avec soin, couronnant le final de l'air d'un sublime et long pianissimo mourant jusqu'au silence.

Après une caricaturale Suite d'orchestre n° 2 de L'Arlésienne de , gratifiant le public de sonorités plus proches d'un orphéon de village que d'un orchestre classique, Joyce DiDonato s'attaque à l'air final de La Donna del Lago de , l'un de ses chevaux de bataille. Elle précède son chant d'une introduction dans laquelle elle se souvient avec émotion de sa prestation scénique de cet opéra à Genève en 2010. Si on retrouve le soin, la précision, le phrasé, et l'admirable diction de la mezzo américaine, l'accompagnement de l'orchestre n'offre pas le soutien qu'elle pourrait espérer pour transcender son chant. Les effets pyrotechniques propres aux caballettes rossiniennes lui ouvrent toutefois la route d'un final triomphal.

Avec en bis la romance américaine Over de Rainbow du compositeur américain , Joyce DiDonato termine son récital genevois en démontrant, si besoin était, qu'elle est incontestablement l'une des plus grandes cantatrices de notre époque et que son professionnalisme « à l'américaine » n'enlève rien à son réel talent artistique.

Crédit photographique : © Simon Pauly

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