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À Grenoble, le brunch des Détours de Babel

Allier plaisir et surprise, musique improvisée et écriture contemporaine, performance de plein-air et rite chamanique, c'est ce que propose l'équipe des Détours de Babel, festival dauphinois emmené par son directeur Benoît Thiebergien, durant les trois dimanches de la manifestation. Sous un soleil printanier avec la chaîne des Alpes à l'horizon, le second brunch dominical investit les espaces harmonieux du Musée dauphinois. De 11h à 17h30 s'enchaînent à la faveur d'une logistique sans faille six concerts / performances que les artistes vont donner deux fois dans la journée : autant de facettes aussi diverses que singulières d'une même thématique, Mythes et légendes, mise à l'affiche de cette septième édition.

La Chapelle du Musée est un écrin idéal pour Dix ailes, une pièce en création de Clément Edouard où les voix blanches de Linda Oláh et Isabel Sörling enchantent ce lieu bien sonnant. Relayées par la source électronique (Clément Edouard) et le jeu instrumental, celui de Julien Chamia jouant de sa harpe basse, leurs interventions s'inscrivent dans le temps très long de la méditation et tissent une toile sonore aussi délicate que transparente. Le compositeur Clément Edouard dit avoir sollicité les huit tigrammes du Yi-King chinois que aimait lui aussi interroger.
Sous le soleil de midi, le performeur chaman Tejenta Zobel, alias Snake, jeune artiste camerounais fascinant, retrouve, « au-delà de l'humain », les gestes ancestraux pour célébrer en plein air la mémoire de ses morts. Le rituel passe par la danse, la voix et les métamorphoses du corps sous l'action d'enduits colorés très spectaculaires.
On a, entre temps, installé dans la chapelle un grand piano de concert pour la prestation très attendue d' qui improvise dans Piano Caméléon. Compositeur et pianiste franco-grec invité cette année au festival, Markeas est également professeur d'improvisation générative au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et aime croiser les deux disciplines par ailleurs si complémentaires. Il a préparé son instrument – pâte à fixe et autres petits objets insérés dans les cordes – et a relié les touches du clavier à un ordinateur pour piloter une partie électronique : autant de ressources pour cette improvisation toute en couleurs et paysages sonores. Elle est menée sur le clavier comme dans les cordes du piano et s'enrichit des fantasmagories de l'électronique qui démultiplie l'espace de jeu.

Il fallait un peu de chance et beaucoup de patience pour pénétrer dans la yourte – la jauge est de cinquante places – où est installée la yagta (cithare mongole) de Chinbat Baasankhuu et la console électroacoustique de . Aventureux lui aussi, le compositeur lyonnais s'est inspiré des chants mongols pour composer sa Sonate pour yagta qu'il situe au carrefour des musiques traditionnelles et de l'écriture contemporaine. Elle sollicite en effet l'instrument au-delà de ses modes de jeux habituels à travers l'utilisation du bottleneck ou de l'archet sur les cordes… Le tout exécuté avec une grâce indicible par Chinbat Baasankhuu.
Après le Voodoo jazz Trio, emmené par la voix profonde de Moonlight Benjamin, qui nous donnait un dernier rendez-vous sur la terrasse du Musée, le rituel dominical s'achevait dans la Chapelle avec le et ses nouvelles aventures. On se souvient des fameux Mabinogions qui font désormais partie du patrimoine des Béla. Mais on ne connaissait pas encore les Impressions d'Afrique dont esquisse en quelques mots l'inquiétante trame narrative. Il s'agit là de quatre rituels – de mariage, de naissance… – dont les musiciens assument toute la responsabilité, y compris celle de la musique signée par . Celle-ci nous enchante par son énergie galvanisante et les sonorités qu'elle fait naître sous les archets. Dans un contexte souvent détempéré, c'est une cornemuse qui semble résonner ou quelqu'autre anche voire trompe traditionnelles accompagnées de petits tambours de bois ou de peau. L'oreille est à l'écoute de cet univers foisonnant issu des seules cordes du quatuor. Le folklore est imaginaire mais n'en puise pas moins aux principes essentiels de la musique populaire. Ainsi se refermait cette riche journée conçue comme un beau livre d'images ouvert sur les musiques du monde

Crédit photographique : © Michèle Tosi

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