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L’étonnante mais contestable prouesse de Jonas Kaufmann dans Le Chant de la terre

On salue bien bas la prouesse que réalise en chantant seul les six lieder du Chant de la terre de Mahler, mais sa démarche iconoclaste ne convainc pas pleinement et ne fait pas oublier les grandes références historiques gravées par de grands chanteurs.

Lorsqu'il compose Le Chant de la terre en 1908, Mahler choisit d'alterner les lieder pour le ténor avec ceux pour une voix grave, contralto ou baryton. Si la version pour contralto est la plus fréquemment exécutée et a donné lieu à quelques gravures légendaires (Walter-Patzak-Ferrier bien sûr mais aussi Klemperer-Wunderlich-Ludwig que cite dans son texte de présentation), celle avec baryton a connu un défenseur inspiré avec Dietrich Fischer-Dieskau (surtout avec Bernstein et King à Vienne). Mais jusqu'ici nul n'avait osé s'approprier tous les lieder comme le fait désormais Jonas Kaufmann. On est évidemment tenté de crier au sacrilège, mais l'audition du CD laisse un sentiment plus contrasté. S'il y a bien une certaine trahison de la volonté du compositeur, il faut aussi reconnaître l'exceptionnelle sensibilité du ténor, jusque et y compris dans l'Abschied où il trouve de déchirantes inflexions dignes du souvenir de Ferrier. Quant à l'illustre Philharmonie de Vienne, sous la baguette attentive sinon inspirée de , elle fait une fois encore preuve d'une splendeur de timbres et de phrasés devant laquelle on rend les armes ; une mention particulière pour les interventions du hautbois qui tirerait des larmes d'une pierre…

Néanmoins, malgré la fabuleuse technique de Kaufmann et sa musicalité transcendante, on ne peut que regretter quand même l'absence du contraste des voix et des timbres pourtant voulu par Mahler lui-même. Conclusion partagée donc entre l'admiration pour la prouesse, l'émotion devant certains passages bouleversants et un certain agacement devant cette distorsion de l'œuvre. Un CD à garder précieusement mais seulement pour qui connaît suffisamment son Chant de la terre pour savoir se garder de ses sortilèges envoûtants mais un brin pernicieux.

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