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Salomé à Stuttgart ou l’Orient compliqué de Kirill Serebrennikov

Du monde contemporain, le metteur en scène russe ne retient que les images les plus racoleuses sans se préoccuper ni de cohérence, ni de l'œuvre.

Idéologie de la (vidéo)surveillance, Daech, crise des réfugiés, usage de la torture dans les geôles américaines, tyrannie des médias : ce ne sont que quelques-uns des grands thèmes contemporains que met en scène dans sa Salomé, où il n'oublie pas non plus toutes les perversions de la famille la plus dysfonctionnelle de l'histoire de l'opéra. C'est beaucoup, et il faudrait un virtuose pour construire à partir de toutes ces pistes un spectacle cohérent à la hauteur de ses promesses. Comme pour son Barbier de Séville créé à l'automne dernier à la Komische Oper, Serebrennikov se contente hélas d'un vernis contemporain d'où toute ambiguïté est bannie. Il n'a pas beaucoup plus à dire sur ces thèmes que ce qu'en disent les gros titres de la presse à sensation : à force d'accumuler les thèmes et de les traiter de la manière la plus sensationnaliste possible, il tue aussi bien l'émotion que la réflexion et réduit singulièrement la place du théâtre dans ce spectacle, qui ne prend que parcimonieusement appui sur l'opéra qu'il met en scène. Peu importe que l'opéra insiste sur la fascination qu'exerce Jochanaan sur tous ceux qui l'approchent : pendant tout son dialogue avec Salomé, les gardes du palais le torturent avec tout le sadisme possible, façon Abu Ghraïb – le chanteur est relégué en bord de scène, tandis qu'un acteur prend les coups pour lui.

L'usage de la vidéo est presque permanent, sempiternelles images de vidéosurveillance, journaux télévisés, images qui devraient être insoutenables des vidéos de Daech que le contexte banalise, dessin animé particulièrement gore : de la dénonciation de la dictature de l'image et de l'information permanente à l'exploitation brute de son pouvoir addictif, il n'y a qu'un pas que Serebrennikov franchit sans scrupule. Loin de dénoncer la violence et la vulgarité du monde, il les exploite au premier degré : un peu comme, dans un genre beaucoup plus conservateur, les exposés didactiques historico-philosophiques de , cette surcharge de signes trouve son public, et on comprend bien qu'il en use et abuse.

Une héroïne sans charme et un orchestre de plomb

Salomé en adolescente vaguement rebelle, le couple royal dans toute la splendeur de sa vulgarité fortunée : la direction d'acteurs de Serebrennikov est plutôt compétente, peu originale, mais elle ne suffit pas à soutenir l'attention, d'autant que le spectacle manque d'une protagoniste capable de s'imposer face au flot des images. dans le rôle-titre peine à concilier le texte et les notes, et elle ne peut donner à son chant les nuances qui éviteraient la monotonie et lui permettrait de construire un personnage. Elle n'est, il est vrai, pas aidée par une direction d'orchestre confuse, pauvre en couleurs, qui noie trop souvent les voix dans un flux sonore peu propice au théâtre.

Plutôt qu'un Jochanaan atone, c'est en Hérode qui réussit le mieux à s'en tirer dans ce contexte, avec une voix très vivante de ténor de caractère : avec une Hérodiade plus effacée mais vocalement séduisante, c'est une bonne chose, mais ce n'est qu'une mince consolation dans une soirée qui paraît interminable.

Crédit photographique : © Martin Sigmund

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