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Haochen Zhang, pianiste de l’intimité de l’âme

, jeune pianiste chinois installé aux États-Unis, médaille d'or du Concours Van Cliburn 2009 à dix-neuf ans à peine et récemment récipiendaire du Avery Fischer Grant Career, nous livre son premier disque studio pour le label Bis : une carte de visite qu'il a voulue centrée sur l'introspection musicale et une certaine intimité psychologique, malgré quelques éclats bien sonores.

Ex-jeune prodige du piano chinois formé dès son plus jeune âge au conservatoire de Shanghaï, puis à l'École des Arts de Shenzen (classe de Dan Zhaoyi), rejoignit en 2005 le Curtis Institute de Philadelphie où il étudia avec le grand , qui y fut par ailleurs professeur de Lang Lang et Yuja Wang. Sa médaille d'or au Concours Van Cliburn lui a ouvert les portes d'une déjà impressionnante carrière aux États-Unis et aussi en Europe, depuis une prestation fort remarquée aux concerts BBC Proms de Londres à l'été 2014.

L'artiste a voulu, par ce programme mûrement réfléchi, tendre à une certaine dualité entre la ductilité des songes et le retour parfois tragique à ici-bas : l'interprète nous emmène de la perspective du regard d'un adulte sur le monde de l'enfance (Kinderszenen de Schumann) aux méditatives berceuses de la douleur ultime brahmsienne (Trois intermezzi opus 117), en passant par la dualité entre visions sombres et aériennes de la Deuxième ballade de Liszt, ou encore par l'émotion et la révolte intérieures de Janáček à l'annonce de l'assassinat dans la rue d'un jeune travailleur lors d'une manifestation (Sonate 1.X.1905).

Ce sont les qualités évocatrices d'un toucher gourmand, varié et perlé qui frappent, dès les premières notes des Scènes d'enfants schumaniennes, mais l'hédonisme sonore n'empêche nullement la variété des évocations tantôt naïves et enjouées, tantôt d'une nostalgie rêveuse teintée d'une infinie tristesse. Comme le demande Schumann à la conclusion du cycle, c'est ici un poète qui parle.

La Deuxième ballade de pèche peut-être par une certaine linéarité, ou une simple juxtaposition des deux principales idées musicales dans un flux continu là où une confrontation plus abrupte des thèmes serait sans doute mieux venue : à cette version certes techniquement dominée (ah, ce legato fondant et souverain des chromatismes liminaires), mais un peu univoque, on peut préférer la narration épique d'un Nelson Freire (Decca), l'abattage sans faille et d'un goût parfait d'une Lilya Zilberstein (DGG, à rééditer) ou le ton altier et diamantin d'un Claudio Arrau, suprême référence (Decca).

La Sonate 1.X.1905 « dans la rue » de offre par contre une implacable progression dramatique depuis le noir « pressentiment » augural jusqu'à l'insoutenable tension du crescendo du second mouvement, allusion au tragique inéluctable d'une mort violente.  préfère à une certaine surexposition expressionniste (Rudolf Firkušný, DGG) un sens de la gradation dramatique sans théâtralité outrée : l'œuvre peut ainsi se terminer dans le silence résigné d'une révolte intérieure et ambiguë, après le climax dramatique.

Malheureusement, ce récital prometteur est un peu gâché par une version très automnale, trop réservée et uniment lentissime des Trois intermezzi opus 117 de Brahms : le premier, dans une telle approche alanguie, y perd son subtil balancement de berceuse, le troisième s'étire interminablement et s'égare loin de toute agogique naturelle ou toute direction discursive ; seul le deuxième, plus allant, résiste quelque peu à ce traitement de choc par la retenue et capte vraiment l'attention. On est ici très loin des réussites dans le registre mezza voce, entre autres références, d'un Radu Lupu ou d'un Julius Katchen (tous deux chez Decca).

Bref, voici un récital à demi-réussi d'un artiste attachant mais un peu univoque malgré la diversité du programme : un disque que l'on classera d'ailleurs de préférence à Schumann ou à Janáček.

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