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Wozzeck par Christoph Marthaler revient à Bastille

C'est après presque huit ans d'absence à l'Opéra national de Paris que le Wozzeck du metteur en scène réapparaît. Pour cette nouvelle reprise, la plupart des interprètes effectuent leur prise de rôle, à l'exception de et . Et si le décor est resté le même, les autres composantes du spectacle ont subi des modifications plus ou moins importantes.

Tout d'abord, il est à noter que la mise en scène de Marthaler (création de la production en 2008 à Bastille) ne tient pas compte des nombreuses didascalies du livret de Berg. Du point de vue de la fidélité au texte, elle est donc assez extravagante. Toutefois, cette particularité présente ainsi une originalité créatrice incontestable. Tous les lieux de l'action (la chambre du Capitaine, la forêt, le logement de Wozzeck, le cabinet du Docteur, la caserne, la taverne, les bois près d'un étang, etc.) sont ici réunis par une seule grande structure, dans un unique décor de cantine de caserne. Une immense tente en toile occupe pratiquement toute la scène avec, à l'arrière, un parc de jeux pour enfants. C'est cet espace neutre, où se déroule l'action, qui remplace par cette unité de lieu la multiplicité des tableaux originaux. Les spectateurs sont ainsi plus à même de se concentrer sur le déroulement de l'action et de se plonger en profondeur dans la psychologie des personnages.

Pour mettre en valeur celle-ci, ainsi que pour intensifier le drame et parfois même maintenir la tension, un formidable travail a été effectué par Olaf Winter, le concepteur du jeu de lumières. Les éclairages, bien que modestes, sont pourtant significatifs, surtout pour la scène des hallucinations de Wozzeck dans les bois, de même que pour celle du meurtre de Marie et celle de la noyade du rôle-titre, au cours de laquelle l'éclairage rend bien l'illusion d'un bassin, dans une forêt qui n'est que suggérée.

Le parc de jeux pour enfants, situé derrière la grande tente de toile, permet non seulement de neutraliser l'espace où se déroule l'action, mais également de mettre en relief des contrastes sociaux marqués (y compris d'ailleurs dans l'espace limité de la tente). Il intensifie le tragique et accentue l'impression du « désordre mental » de Wozzeck et de la rapidité de succession des événements, avec des scènes courtes qui se déroulent dans un lieu unique où les enfants s'amusent, insouciants de la tragédie en cours. Indéniablement, c'est le tragique qui domine, exception faite de la présence de ce pianiste face à son instrument qui joue dès le début du spectacle, mais qui après un accord dissonant sur son piano bastringue se décide à quitter son coin de tente.

Ce tragique est omniprésent tout au long de l'œuvre, ne serait-ce qu'avec le personnage de Wozzeck, qui se comporte en dépressif. Pour ses débuts à l'Opéra de Paris, apporte au rôle de Wozzeck, qu'il interprète pour la première fois, une modération dans les mouvements corporels, qui n'en est pas moins d'une grande efficacité. Son Wozzeck, inadapté et fragile, bénéficie vocalement d'un timbre de baryton profond et agile.

, en Marie, est une excellente actrice ; ses gestes et les expressions de son visage lui permettent de donner du sens à la souffrance d'une femme ayant trahi son compagnon. Sa voix de soprano se distingue par la pureté et la chaleur de son timbre. La diction assez claire, ainsi que la maîtrise dans un registre étendu et une vibration poignante, soulignent le drame intrinsèque au caractère du personnage. Précisons que interprète le même rôle sur le DVD Accentus Music qui a été élu meilleure production vidéo lors des ICMA 2017.

C'est le tragique plus que le grotesque qui se dégage du personnage du tambour-major, sorte de punk bouffon en t-shirt et baskets, sans élégance ni manière. Reconnaissons que , avec sa voix de velours mélodieuse et brillante, est un formidable acteur pour ce rôle de bellâtre vaniteux tentant de séduire toutes les femmes qu'il rencontre, que ce soit Marie ou sa voisine Margret, assimilée dans cette mise en scène à une prostituée. On n'oubliera pas de sitôt cette incarnation.

Signalons encore les engagements tenus par (le Docteur, basse) et (le Capitaine, ténor). Le premier est un vieux routier de ce rôle de docteur pervers qui se livre sur Wozzeck à des expériences dangereuses, tandis que le deuxième incarne un personnage cynique et sans scrupules, dont les redoutables aigus souffrent cependant ici d'un vibrato excessif.

Enfin parmi les seconds rôles, retenons le baryton souple de et le baryton profond de , tous deux issus de la dernière promotion de l'Académie de l'Opéra, ainsi que le ténor ample et chaleureux de en Andrès.

L'orchestre, véritable protagoniste sous la baguette de , assume sa fonction de révélateur du drame. Sa puissance irrésistible, avec une efficace réalisation des contrastes dynamiques, emporte le spectateur tout au long de la tragédie. Quant au chœur, nous sommes séduits tout autant par la justesse de la déclamation que par de beaux pianissimi.

La scène finale, lors de laquelle les gosses jouant dans la cour informent l'enfant de Wozzeck et de Marie du décès de sa mère, renvoie par sa force dramatique à la tragédie grecque. Le petit garçon, incapable de prendre la mesure de l'événement, continue à jouer. Le sort s'avère impitoyable pour lui alors qu'il semble encore inconscient du drame.

Une belle production de l'Opéra national de Paris, que nous aurons encore plaisir à retrouver lors d'une prochaine saison.

Crédit photographique : © Emilie Brouchon /Opéra national de Paris

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