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Haendel éblouissant par Jean Guillou

Pour fêter ses 10 ans, le label Augure offre aux discophiles une version inédite et intégrale des concertos de dans sa version pour orgue seul réalisée et donnée en concert lors d'une mémorable tournée en Hollande à l'été 1980. Éblouissante approche d'une œuvre taillée sur mesure pour cet interprète de génie.

Nous connaissions par le passé quelques concertos de Haendel que avait gravés ici ou là dans diverses parutions, mais jamais une intégrale des 16 concertos n'avait vu le jour. Le choc est d'importance : penser que l'artiste proposait cette somme haendelienne en moins de deux semaines et huit concerts, à raison de deux concertos par soirée et parmi un programme comprenant aussi de grandes pièces de Bach, Mozart, Mendelssohn, Liszt, Franck, Vierne et Prokofiev : cela donne le vertige. Ceux qui connaissent le maître savent aussi que tout cela était joué par cœur, sur des orgues à traction mécanique et sans aucune aide extérieure.

Bien sûr par le passé, d'autres interprètent dont Marcel Dupré avaient eux aussi proposé ces concertos à l'orgue seul, l'orchestre étant inclus dans le discours général. Mais ce qui apporte un intérêt supplémentaire à ces versions est que, outre sa légendaire virtuosité, propose toute une somme de cadences prévues par l'auteur et qu'il incruste telles des pierres précieuses dans un tissu flamboyant. A l'écoute, cela permet d'imaginer Haendel lui même improvisant à moitié ses concertos lors des intermèdes de ses opéras et déroutant, on le comprend, un orchestre pourtant rompu à le suivre. Les apports de à ce niveau ont fait l'objet d'une étude approfondie, dans le style de Haendel, tout en préservant bien la personnalité et l'imagination de l'artiste contemporain. Le dosage est subtil, réussi, enthousiasmant. Les orgues, minutieusement choisis, font partie des grands instruments historiques de Hollande, tous en excellent état à de très rares exceptions près. La prise de risque en « live » est énorme, cependant la maîtrise tant au niveau du clavier que des choix de registration est confondante de perfection.

Jean Guillou aime « l'orgue orchestre », il est ici comblé par ces instruments d'exception et par une musique qui s'y prête au plus haut point. Il faut souligner aussi une prise de son miraculeusement équilibrée et belle de timbres et de saveurs diverses : belle époque de l'enregistrement analogique ici parfaitement maîtrisé par Jan de Bruijn. Le livret très fourni offre outre une analyse des concertos, les réflexions de Jean Guillou, une étude des cadences rajoutées avec tableau synoptique pour bien les repérer au sein de chaque concerto. Chaque orgue est minutieusement décrit et les programmes des concerts livrés dans leur intégralité. Ces concertos avec leurs cadences ont fait l'objet d'une édition parue chez Schott-Music.

A titre de bonus, pourrait-on dire, deux CDs complètent le coffret avec une sélection de concertos (les 1, 2, 4, 8, 9, 10, 11, 12, 13 et 15) enregistrés en 2013 en marge de l'inauguration de l'orgue Klais de la cathédrale de Léon en Espagne. Il s'agit d'un grand orgue occupant le chœur avec deux buffets séparés comme à l'époque ancienne. Cet instrument est le fruit des théories de Jean Guillou en matière d'orgue moderne toujours tourné vers l'avenir. On appréciera la vision du maître, à trente-trois ans de distance, de ces mêmes œuvres mais sur un orgue correspondant ici pleinement à ses aspirations.

Dans la vaste discographie de Jean Guillou, ce coffret marque l'une de ses plus grandes réalisations, et montre avant tout les sentiments profonds d'un musicien poète. On est captivé d'un bout à l'autre, tenu en haleine par la verve d'un discours sans faille. Le « père Haendel » aurait aimé, c'est sûr ! Voici un beau cadeau d'anniversaire pour fêter les 10 ans d'Augure et les 87 printemps de l'interprète.

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