Le week-end dernier, Radio France a fêté Jean-Yves Thibaudet, pianiste mondialement acclamé, formé au Conservatoire de Paris sous l'autorité de Lucette Descaves et surtout d'Aldo Ciccolini, installé de longue date à Los Angeles, et lui a offert une carte blanche, jouée en cinq donnes, autour de plusieurs axes reliant l'Ancien ou Nouveau Monde. Nous nous sommes concentrés sur les concerts de musique de chambre qui ont ponctué ces deux journées.
Le Trio Karénine, samedi soir au studio 106, joue, à l'instar de la carrière du pianiste fêté, la carte franco-américaine et ouvre le bal par le caustique, spirituel et juvénile Trio (1937) de Leonard Bernstein, avec une dégaine un peu gouailleuse, un sens du clin d'œil et du swing irrésistible. Dans le diptyque D'un matin de printemps – D'un soir triste de Lili Boulanger décliné dans sa version pour trio à clavier, les jeunes interprètes font montre tantôt d'un sens chatoyant de la couleur ou tantôt de l'intimité douloureuse d'un spleen venimeux. La brève Commemorative march (1940) de Samuel Barber n'est qu'une page de circonstance familiale et nuptiale d'un intérêt très limité, surtout face au monumental et magistral Trio en la mineur (1914) de Maurice Ravel, où le punch de la pianiste Paloma Kouider ou l'assise rythmique et l'engagement du violoncelliste Louis Rodde captent plus l'attention que le violon plus timide et à la sonorité parfois un peu éteinte de Fanny Robilliard. La partition, juste bien mise en place, n'est pas fondamentalement trahie dans son esthétique par cette lecture parfois un peu rigide, mais on souhaiterait une approche un peu plus creusée et dramatique de cette oeuvre fondamentale du répertoire pour la formation.
Le dimanche soir Jean-Yves Thibaudet rencontre au studio 104 divers musiciens de l'Orchestre National de France pour un programme français aussi alléchant que copieux et monté en quarante-huit heures à peine. Raphaël Perraud, sans partition, se montre à la hauteur de l'enjeu et nous offre une somptueuse Sonate pour violoncelle et piano de Claude Debussy, tour à tour fantasque, boudeuse ou expansive, où son partenaire, héros du jour, idéal d'engagement et de virtuosité, n'oublie jamais le précepte du compositeur : « Que le pianiste n'oublie jamais qu'il ne faut jamais lutter contre le violoncelle mais l'accompagner ».
Les deux interprètes ne trouvent hélas pas dans le violoniste Lyodoh Kaneko ou dans l'altiste Nicolas Bône des répliques tutoyant pareillement les muses pour le premier Quatuor à clavier opus 15 de Gabriel Fauré. Cette grande demi-heure de musique souffre ici sans doute d'un manque global de répétitions, comme en témoigne la cohérence parfois hasardeuse des cordes d'une verdeur peu amène dans les unissons. Mais le piano justement perlé et ludique dans le Scherzo, pudique, insondablement triste au fil de l'Adagio, ou énergique, coloré et raffiné dans les temps extrêmes de Jean-Yves Thibaudet n'appelle que des éloges.
L'hôte de la Maison ronde, en compagnie d'excellents vents solistes (Philippe Pierlot à la flûte, Mathilde Lebert au hautbois, Patrick Massina à la clarinette, Vincent Léonard au cor et Philippe Hanon au basson), clôt le week-end par une impeccable version, entre épure et divertissement, du Sextuor de Francis Poulenc. Le piano vif-argent, souriant et bonhomme de Jean-Yves Thibaudet trouve en permanence la juste mesure, le sens de la raillerie ou de la rupture de ton et la connivence de mise avec ses excellents partenaires. Tous sont cette fois au même diapason, pour cette aimable et persifleuse conversation en musique : un final festif très réussi.
Photo : Jean-Yves Thibaudet © Mood