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Les perles de Bizet ont bien accosté à l’Opéra de Bordeaux

Pour son dernier opéra de la saison, l'Opéra national de Bordeaux a choisi le lyrisme français mélangé à l'exotisme oriental de Bizet, Les pêcheurs de perles.

Présentée dans sa version d'origine, cette œuvre lyrique retrouve ainsi une cohérence dramatique non négligeable, alors que son livret montre bien des failles. La redécouverte de la mise en scène de Yoshi Oïda, dévoilée la première fois il y a cinq ans à l'Opéra Comique et portée ici par la direction colorée et dynamique de , permet de savourer comme de tendres cannelés, de véritables perles mélodiques défendues par un trio vocal de belle qualité.  

Œuvre de jeunesse, Les pêcheurs de perles porte déjà la marque du grand opéra à la française où le génie dramatique du compositeur de Carmen et l'éclat mélodique de son écriture paraissent comme une évidence. Et cela même si la qualité du livret (ses faiblesses ayant été largement reconnues par les auteurs eux-mêmes lors de sa création en 1863) permet difficilement de nous imprégner de l'histoire d'amour entre Leïla et Nadir. Rareté il y a encore peu sur les scènes de France, cet opéra garnit désormais de nombreuses programmations de théâtres. Espérons que l'autre opéra orientaliste du musicien romantique, Djamileh, encore trop ignoré à notre goût, connaisse la même appétence. À Bordeaux peut-être ?

L'orientalisme du XIXe siècle attache peu d'importance à l'authenticité, au respect de la référence. C'est en vérité une atmosphère que les auteurs tentent de recréer, univers dont les caractéristiques sont peu retranscrites en musique, voire jamais. La vision du metteur en scène Yoshi Oïda est en cela conforme à l'idée première de l'œuvre. Avec beaucoup d'élégance et de justesse, les références arabes et asiatiques s'entremêlent tel le patchwork monochrome qui compose les costumes de Richard Hudson, où les sarouels répondent en toute harmonie au chapeau chinois de Leïla et aux poignards japonais des danseurs. C'est un ailleurs non défini, lointain et en même temps familier dans lequel nous entraîne l'homme de théâtre japonais.

Indûment simple, faussement statique, cette mise en scène et son unique décor s'inscrivent dans une totale démarche collective qu'il est agréable d'apprécier. D'autant que nombre de metteurs en scène sont persuadés que le succès des productions opératiques auxquelles ils participent repose en grande partie sur leurs épaules. Loin d'être autocentré, Yoshi Oïda fait au contraire pleinement confiance à l'autre. C'est en laissant toute sa place à une savante chorégraphie de lumières, à la voix, au drame, au chœur et à l'orchestre, que son travail se révèle. Tel un livre ouvert, donnant une saveur de conte toute particulière, ce décor se construit autour du sublime éclairage de , basé sur un mouvement presque continu mais diffus de jeux de lumières, évocation lointaine de vagues calmes et apaisantes, dynamisés par les mouvements de pinceaux et de couleurs sur la toile. L'éclairage joue également avec les coques de bateaux flottants à quelques mètres du sol en une évocation du trio amoureux. Lorsque seule une coque est présente, le jeu d'ombres se dédouble pour que trois représentations perdurent malgré tout, cela faisant écho à des jeux de miroirs côté cour et côté jardin, pour un horizon infini judicieusement construit.

La direction du chœur s'inscrit pleinement dans cette volonté de mouvement, principalement grâce un langage corporel autour des bras mais surtout des mains. Mais alors que cet opéra lui offre une place de choix, la prestation du chœur de l'Opéra national de Bordeaux ne débute pas sous les meilleurs effets. Pour le chœur d'entrée, Sur la grève en feu, le choix d'un tempo trop rapide par ne permet pas aux choristes de produire une diction claire et dynamique, alors qu'un problème d'équilibre entre les voix d'hommes et de femmes se fait également ressentir. Incompréhensible dans ses premières interventions, le pupitre des sopranos n'arrive toujours pas à rehausser une mélodie assez convenue et peu soucieuse de l'accent dans Sois la bienvenue, Amie inconnue. Cependant la performance du chœur se perfectionne tout le long de la représentation : alors qu'il se fait écraser par l'orchestre dans Ô Dieu Brahma, il est clair et fluide lors de ses interventions en coulisse, et devient véritablement dramatique dans Pour tous deux la mort ! L'orchestre, bien au contraire, ne manque pas de clarté et de puissance, notamment dans les finales. Les sonorités limpides, une agréable articulation, une lisibilité constante et un certain pouvoir de suggestion sont les principales qualités de la fosse.

 Caresse indicible, la voix de dans le rôle de Nadir fait merveille dans ce répertoire. Les inflexions infinies du ténor, dépeignent à la fois un timbre charnu, puissant, mais capable de diminuendi exquis. La langueur et la délicatesse de sa romance Je crois entendre encore dévoilent une élégance et une profondeur de jeu, soutenues par des passages de registres effectués tout en douceur, mais en souffle et en muscles, jusqu'aux si aigus presque lunaires. Face à lui, la soprano canadienne déploie une palette de nuances d'une infinie subtilité, dans une virtuosité qui ne lui fait à aucun moment défaut, entre de superbes aigus, des trilles maîtrisés et d'exquis sons filés. Au centre de la trame, David Bizic, solide Zurga malgré ses émois amoureux, démontre un chant vaillant empreint de noblesse et de maintien, une émission nette et un dramatisme indéniable.

Chose que nous ne faisons que trop rarement mais qui nous semble important ici, il reste à relever la qualité des textes du programme de spectacle d'Hervé Lacombe, Laurent Croizier et Danielle Porte qui ne manquent pas de défendre, chacun selon leur propre perspective, un regard critique de l'œuvre, personnel, basé sur une expérience individuelle, notamment sur scène.

Crédits photographiques : © Frédéric Desmesure

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