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Patricia Petibon, muse klimtienne dans un ténébreux Pelléas et Mélisande

La généreuse incarnation d'une héroïne entourée de mystère par , la simplicité efficace et le symbolisme de la direction musicale de , la vision ténébreuse et oppressante du metteur en scène Eric Ruf… Alors que l'envoûtement de Pelléas et Mélisande est pour beaucoup difficile à s'approprier, cette nouvelle production du Théâtre des Champs-Élysées donne véritablement les moyens de traverser cette forêt obscure afin d'accéder à l'expression enchanteresse de l'opéra de Debussy, où la fusion de la musique et de la poésie se trouve à son apothéose.

Il n'y a pas que sa chevelure rousse ardente et ses robes dorées qui brillent de mille feux. La Mélisande de comporte tellement de prismes, tellement de palettes, tellement de nuances, qu'à chaque apparition nous avons l'impression de découvrir une nouvelle héroïne dont nous n'avions auparavant envisagé que des traits grossiers en comparaison de l'approche pleine de finesse de l'interprète. Celle-ci détaille les multiples visages de la jeune femme dans chaque mot, chaque note, chaque silence. Tout d'abord créature mystérieuse et tourmentée en pleurs près d'une fontaine, elle devient ardente, lunaire puis femme-enfant dans son lit de mort, presque proche de la folie. La manière dont certaines notes sont blanchies, les sons très droits que l'artiste délivre, lui permettent de déployer un chant empreint de douceur, de mélancolie, somme toute irréel. n'est jamais dans la démonstration, mais dans une incarnation constante et multiple.

La dorure de la séduction dont elle est entourée est d'une formidable force expressive et d'une belle élégance. Autour de la référence évidente du cycle d'or de Gustav Klimt, le metteur en scène dépeint admirablement la démarche de , toute cette ornementation visant à mettre en relief le pouvoir destructeur des désirs par opposition à celui de la raison. Cette femme fatale chamarrée d'or, distante et énigmatique, se révèle être la quintessence de la femme inaccessible.

Soutenue par un décor unique composé d'un bassin central et d'une paroi en bois incurvée amovible, c'est une atmosphère véritablement oppressante qui est maintenue tout au long de la soirée. Les gouttes d'eau qui tombent du filet de pêche positionné en hauteur, la brume crépusculaire, le miroitement de la couronne au fond de l'eau grâce à des effets d'éclairages saisissants… Tout tourne autour des profondeurs de cette mare sombre cachant les forces obscures qui entraîneront à un dénouement funeste : la mort de Pelléas puis celle de Mélisande ainsi paraissent inévitables. Malgré une esthétique fortement marquée dans ce travail, la force de la scénographie d'Eric Ruf et des costumes de est de démontrer que le tragique de cette œuvre lyrique se révèle dans la simplicité.

Cette sincérité se retrouve également dans la fosse où l' sous la direction de délivre la musique le plus simplement du monde même s'il couvre parfois la voix de certains protagonistes à de brefs moments. Le chef d'orchestre avait d'ailleurs évoqué sa vision de l'œuvre dans un entretien à ResMusica en début d'année : « C'est une œuvre qu'il ne faut surtout pas surcharger. » Même si cette nouvelle production n'est en réalité que le sixième Pelléas et Mélisande qu'il dirige, démontre son expérience dans ce répertoire en rendant pleinement justice au théâtre et en individualisant chaque couleur orchestrale. Avec peu de vibratos, les cordes atteignent presque la transparence d'une eau claire, alors que, de leur côté, les pupitres des vents font preuve d'une notable précision.

La distribution vocale est construite à partir d'éléments solides et expérimentés, à l'image de qui incarne Pelléas depuis de nombreuses années (un brin trop démonstratif ce soir) tout comme , toujours exaltante dans sa lecture de la fameuse lettre par Geneviève. Homme bafoué, désemparé et en colère, révèle toutes les richesses du personnage de Golaud, fort d'un jeu théâtral très convaincant, d'une diction française excellente et d'un timbre lumineux. L'autorité sobre du vieux roi d'Allemonde à travers le timbre caressant de , et l'innocence d'Yniold pour laquelle la voix de paraît un peu trop mûre, même si son chant est parfaitement nuancé, complètent le plateau.

Ce spectacle remarquable s'adresse à tous, grands admirateurs de l'ouvrage ou spectateurs à conquérir. Mais alors que la langue raffinée de la musique dans Pelléas et Mélisande composera encore les soirées parisiennes l'année prochaine, dont une programmée de nouveau au Théâtre des Champs-Élysées, l'empreinte de cette production restera certainement longtemps dans les mémoires.

Crédits photographiques : Pelléas et Mélisande mis en scène par Eric Ruf au Théâtre des Champs-Élysées © Vincent Pontet

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