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Fleming et Trifonov dans la masse de Dresde et Thielemann au TCE

Pour leur tournée saisonnière, la Staatskapelle Dresden et accèdent à Paris accompagnés de deux très grands artistes, continuant à faire ses adieux à au fur et à mesure des œuvres qu'elle laisse à d'autres, et à développer son répertoire en abordant pour la première fois le Concerto en sol de . À ces premières parties, le chef allemand ajoute des œuvres qu'il maîtrise parfaitement, une Alpensinfonie et un Pelleas und Melisande de Schönberg traités dans la masse.

Elle aurait dû abandonner Arabella à Dresde juste après l'avoir joué avec Thielemann à Salzburg en 2014, mais aura déjà laissé Anja Harteros la remplacer dans la capitale saxonne tant la voix ne correspondait plus au rôle, ne gardant pour elle que la Comtesse du Capriccio au même moment. Elle vient de faire ses adieux à La Maréchale à Londres en janvier puis à New-York en mai, et s'apprête maintenant à quitter la majorité de son répertoire de prédilection. approche d'un âge où beaucoup n'ont déjà plus rien à offrir, et si une part du public du Théâtre des Champs-Élysées semble désappointée en ayant certainement recherché aujourd'hui le souvenir d'une prestation révolue, pour les autres il sera resté la grâce et l'intelligence de Quatre Derniers Lieder chantés sur la corde par une très grande dame, d'une classe rare et d'une retenue pleine d'émotion.

Tout juste pourra-t-on regretter dans ces conditions que le chef avec lequel elle a gravé la plupart de ses grands rôles straussiens en plus des lieder de ce soir, , la surveille trop et accélère l'ensemble au risque de déstabiliser la soprano américaine dans le souffle, en voulant au contraire lui éviter de trop tenir les blanches. Ce défaut de respiration se ressent d'autant plus que l'orchestre non plus n'a aucune liberté pour aérer certains phrasés lors des deux premiers lieder, Frühling et September. La soirée s'ouvre tout de même au troisième, puis surtout dans un Im Abenbrot particulièrement touchant. Au retour d'entracte, Thielemann aborde une Alpensinfonie qu'il connaît par cœur pour la diriger quasiment toutes les saisons, en plus d'en avoir enregistré une des versions audio de référence en plus de deux en vidéo. Nuit (Nacht) impressionne par la maîtrise et l'agencement, tant le traitement et l'imbrication des thèmes semblent rapprocher l'écriture du Viennois de celle leitmotivique de Wagner ; ce début d'ouvrage fait ici plus que jamais penser à la naissance du son comme au prélude de Rheingold.

Malheureusement, à trop maintenir son orchestre, Thielemann le compresse, et s'il gravit dans la masse ce roc alpestre avec une fantastique raucité des contrebasses pour L'ascension (Der Anstieg), tout en maintenant une atmosphère tendue en marchant le long du ruisseau (Wanderung neben dem Bache), Les prairies fleuries ou Les alpages ensuite ne trouvent aucune poésie ni aucune légèreté, même dans les bois clairs de la phalange saxonne. Les trompettes criardes convainquent moins que les trombones et les neufs cors, dont le fantastique premier de Robert Langbein, pour les Moments Dangereux et un Orage traité avec la même puissance que la bataille d'Heldenleben dans la même salle trois ans plus tôt. Mais malgré un superbe premier violon de Matthias Wollong et surtout le solo du premier violoncelle Norbert Anger, il manque à l'auditeur après l'Epilogue et le retour de la Nuit cette sensation d'avoir réellement effectué un voyage inoubliable.


Le second soir, tous les défauts du premier se trouvent aggravés, car à rechercher exclusivement Wagner où il le peut dans les partitions traitées, n'a rien d'autre à proposer. Sofia Gubaïdulina n'ayant pu terminer à temps la pièce prévue en ouverture, on a donc joué la carte thématique en accolant au Pelleas de Schönberg le Prélude de celui de Fauré, à l'opposé en termes de démarche musicale à cette époque. Prévu dans le Concerto pour piano de Ravel juste après, arrive sur scène dès le début du concert et attend sagement que Fauré s'écoule, sans que Thielemann n'en comprenne la moindre notion de couleur. Il cherche alors à créer un son dense exclusivement en soulevant la masse des cordes, sans tout à fait surveiller la mise en place d'une petite harmonie mal placée à plusieurs reprises dans la soirée.

Enchaîné directement sans même laisser le temps au public d'applaudir, le Concerto n'a le droit à aucune accentuation et ne trouve que lourdeur et sons désadaptés à l'orchestre, tous les accords jazzy sonnant ridiculement alors que le chef tente comme il le peut de retrouver Wagner en se concentrant sur un solo de harpe au milieu de l'Allegramente, qu'il suit comme s'il s'agissait de l'apparition du Venusberg dans Tannhäuser. L'approche de Trifonov diffère amplement de celle du berlinois, mais semble, comme dernièrement lors de son concerto de Rachmaninov à la Philharmonie, chercher quelque chose qu'il ne trouve pas encore. Il traite la partition avec bien évidemment une superbe dextérité, mais sans jamais aucun lyrisme ni même un caractère joueur, pour une approche plutôt circonspecte d'une pièce qu'il découvrait et pour laquelle il n'aura pas pu discuter avec un chef connaisseur, laissant la plus belle partie de la soirée à son seul bis, les Reflets dans l'Eau de Debussy, où une parenté avec ses interprétations de Liszt se fait sentir grâce à son toucher si fluide et si spécifique.

En clôture, Pelleas und Melisande de Schönberg est approché par Thielemann comme un magma symphonique qui n'a de poétique que le nom, en plus de souvent chercher à faire saturer une agressée à chaque forte dans une salle incapable de les encaisser. Loin de l'enregistrement gravé pour Deutsche Grammophon également, cela ne crée rien d'autre que quelques beaux instants, lorsqu'il s'agit de faire ressortir les accents du Tristan und Isolde de Wagner de cette partition. Il semble pourtant que l'œuvre a plus à dire.

Crédit photographique : ©  Staatskapelle Dresden

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