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Création d’Elzbieta Sikora à Musica Electronica Nova

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Wroclaw. National Forum of Music (NFM). 19-21-V-2017
19-V : Elzbieta Sikora (né en 1943) : Sonosphères III et IV pour orchestre et électronique. Witold Lutoslawski (1913-1994) : Interludium pour orchestre; John Zorn (né en 1953) : Orphée pour petit ensemble; Contes de fées pour violon et orchestre; Suppôts et Supplications pour orchestre; Improvisations pour orgue et électronique.
20- V : John Zorn : Bagatelles pour laptop; Pièces instrumentales pour le Gnostic Trio; électronique live sur les films de Harry Smith.
21-V : Ryszard Osada (né en 1972) : Abstract Music pour quintette à vent et électronique; Salvatore Sciarrino (né en 1947) : Il silenzio degli Oracoli pour quintette à vent; Wojtek Blecharz (né en 1981) : Space where I used to be pour quintette à vent. Christopher Otto, violon; John Zorn, orgue; Ikue Mori, laptop; The Gnostic Trio; Quintette à vent du NFM Wroclaw; orchestre du NFM Wroclaw; direction David Fulmer.

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IMG_0581En quasi simultané avec la Biennale d'art contemporain WRO qui essaime cette année dans toute la ville polonaise de Wroclaw, la huitième édition de Musica Electronica Nova (MEN), emmenée par la compositrice , affiche la thématique de l'Identité. Elle s'est ouverte dans le somptueux espace du National Forum de Musique (NMF) inauguré l'an dernier.

Ce premier week-end invitant l'iconoclaste débute avec la création mondiale très attendue de Sonosphères III et IV, Symphonie Wroclaw, commande jumelée de l'IRCAM et du Ministère de la Culture polonais faite à Elzbieta Sikora. L'événement consacre le rayonnement d'une compositrice et directrice de festival ouverte sur le monde sonore, qui s'apprête à passer la main à son successeur .

« Je me devais d'écrire une symphonie pour Wroclaw » Elzbieta Sikora

Nantie d'une double formation d'électroacousticienne et de compositrice instrumentale, Elzbieta Sikora a toujours favorisé l'aller-retour entre le travail en studios (ceux du GRM et de l'IRCAM) et l'écriture sur partition. Avec la collaboration de son Réalisateur Informatique Musical (RIM) Sébastien Naves, aux manettes dans la grande salle du Forum, la compositrice, qui sous-titre sa pièce d'orchestre Symphonie Wroclaw, a souhaité que le son se propage hors les murs de la salle de concert, accueillant le public dès son entrée dans le foyer du bâtiment: une volonté de bousculer le rituel du concert et d'intégrer la rumeur du public à la partie électronique d'abord, puis aux sons de l'orchestre qui, dans l'ombre et sous la direction très investie du chef américain , entretient sotto voce et durant près de dix minutes un flux sonore continu tournant en boucle. Le flot de lumière projetée sur la scène et la déflagration aussi puissante qu'inattendue des timbales laissent subitement et littéralement le public sans voix. Le coup de théâtre est saisissant qui invite l'auditeur à s'immerger dans un monde sonore incandescent qui va embraser l'espace durant vingt minutes à très haut voltage. Pour ce faire, des hautparleurs sont installés en pourtour de salle et huit musiciens ont investi le premier balcon, des cuivres reliés à un dispositif électronique qui en assure la spatialisation. Sonosphère III – qui s'inscrit dans une série d'œuvres pour instruments et électronique – procède par étagements de masses sonores très impressionnantes, rehaussées de fanfares de cuivres qui ne sont pas sans rappeler les grandes clameurs varésiennes. La seconde partie fusionne les couleurs de l'orchestre et de l'électronique live en de longues trames déferlantes aux moirures étranges. Sonosphère IV réinvestit l'énergie et la projection du son galvanisées par la percussion et la présence d'un piano particulièrement actif. Pour autant, le traitement particulier des cordes laisse affleurer une dimension expressive voire lyrique aussitôt balayée par les impacts musclés de l'orchestre qui vrillent l'espace. Une courte plage de synthèse sonore aux reflets scintillants modifie la perception temporelle en fin de parcours et laisse opérer la magie de l'outil électronique. L'œuvre se veut sans début  ; elle termine « sur l'erre », dans la résonance perpétrée de ces sonorités foisonnantes, au spectre large et à l'énergie fulgurante. Saluons l'efficacité du geste de à la tête d'un orchestre – celui du NMF – magnifiquement réactif et le zèle des deux informaticiens de l'IRCAM (Sébastien Naves et Luca Bagnoli) embarqués dans cet aventure de l'espace qu'ils maîtrisent de main de maître.

L'Interludium pour orchestre de Witold Lutoslawski – un maître spirituel pour la compositrice – qui referme la première partie de la soirée, offre la contrepartie apaisée, presque silencieuse des Sonosphères, dans les textures soyeuses des cordes accueillant les interventions sporadiques des vents.

Carte blanche à

La seconde partie est entièrement dédiée à , artiste monde – saxophoniste, guitariste, joueur d'appeaux, improvisateur… ayant abordé les domaines du jazz, des musiques expérimentales, des musiques écrites, savantes et populaires… – bref une personnalité aux identités multiples et aux pratiques transgressives dont l'Orchestre du NFM joue ce soir deux pièces d'orchestre d'envergure en création polonaise. Contes de fées (1999) met sur le devant de la scène l'excellent violoniste Christopher Otto, membre fondateur du . Musique d'humeur, impulsée par un geste d'improvisateur, l'œuvre en trois mouvements enchaînés est flamboyante, hyper-tendue, un rien emphatique et toujours virtuose au sein d'une trajectoire imprévisible. N'y voir aucune attache avec la tradition, « la musique vient de mon cœur » précise très humblement John Zorn! Ainsi ne faut-il chercher ni empreinte stylistique ni désir formel dans Suppôts et supplications, une oeuvre fleuve qui termine ce concert. Geste musclé, couleurs vives et paysages sonores s'y juxtaposent au sein d'un chemin sinueux où les silences semblent malgré tout dessiner une dramaturgie.

John Zorn a donné rendez-vous au public à 23h55 dans l'église évangélique de la Divine Providence où il est à l'orgue au côté d'Iku Mori jouant de son laptop. Ce sera sa seule contribution en tant qu'interprète durant le week-end. Les artistes improvisent sur les thèmes de son album Hermetic Organ et force est de reconnaître que les deux sources sonores y fusionnent avec bonheur, dans un flux sonore sans tonitruance et dûment pensé pour l'espace harmonieux de cette performance.

La seconde soirée donne carte blanche à John Zorn dont l'immuable pantalon militaire campe le look très singulier. En guise de prélude, Bagatelles, une de ses partitions instrumentales convertie en sons de synthèse, est projetée dans la grande salle du NFM par Iku Mori, via son laptop et un dispositif de haut-parleurs. C'est ensuite le trio états-unien Gnostic – Bill Frisell à la guitare, Kenny Wollesen au vibraphone et Carol Emanuel à la harpe – qui interprète plusieurs pièces de Zorn écrites à leur intention : une musique très « softy », dans la pleine résonance du vibraphone, le charme mélodico-modal de la guitare électrique et le fond sonore de la harpe évoquant parfois le tampura indien. Envoûtante ou soporifique ? La question se pose concernant une musique d'une simplicité lapidaire, aux contours très galvaudés, qui peine à maintenir la tension de l'écoute.

Sa musique de film s'attachant au cinéma expérimental d'Harry Smith (1923-1991) proposée en fin de soirée dans la salle rouge du MNF suscite davantage l'intérêt. Longtemps John Zorn a été artiste en résidence à l'Anthology Film Archives new-yorkais, se familiarisant avec l'univers singulier du cinéaste américain. C'est Iku Mori, toujours à son laptop, qui projette le son en direct, un contrepoint volontairement non synchronisé à l'image, une contre-sonorisation parfois qui fait rebondir l'attention visuelle par la complémentarité de ses rythmes et le flux de ses couleurs.

IMG_0572D'une biennale (MEN) à l'autre (WRO)

Fruit de la collaboration des deux biennales, Mute music, l'installation de l'artiste sonore Marciej Markowski est une oeuvre pluridisciplinaire inaugurée dès le premier jour sur la plateforme centrale du Forum. Une boite de plexiglas épais est équipée d'un dispositif de projection sonore et de deux haut-parleurs diffusant en boucle la musique de John Zorn Dark River, extraite de son album Redbird. Mais l'installation reste muette car la boite est anéchoïque, qui absorbe les ondes sonores sans les répercuter. N'est visible que le faible tremblement de la membrane des haut-parleurs réagissant aux pulsions d'un son empêché.

Le dernier concert du week-end est également placé sous le signe du dialogue vivifiant entre les arts sonores et visuels. Trois films récents (2016) programmés dans le cadre de la Biennale d'art contemporain alternent avec trois œuvres invitant dans la « Salle noire » le jeune quintette à vent du NMF. Au film du japonais Shota Yamauchi, Achilles and the Tortoise, jouant entre monde réel et virtuel via l'image d'un smartphone, succède Abstract Music, oeuvre puissante du compositeur polonais Ryszard Osada sollicitant le quintette à vent et l'électronique. L'écriture à haute tension transgresse les limites traditionnelles des instruments et vise le total saturé. Le jeu sur l'apparition/disparition des cinq instrumentistes instaure une dramaturgie au sein d'une musique s'orientant vers les marges. Plus étrange que le premier, le film de l'Américain Andy Graydon, Clean room Light Trap laisse tout du long « palpiter » l'image qu'accompagne une musique de synthèse granulaire très/trop radicale. Riche idée que de placer les musiciens derrière l'écran pour l'œuvre de , Le silence des Oracles, qui nous met pratiquement en situation d'écoute acousmatique, celle que le philosophe Pythagore pratiquait avec ses étudiants. L'œuvre aussi courte que fulgurante, emmenée par la flûte et le basson, explore des dynamiques extrêmes, dall'niente (l'écoute de notre souffle, de notre sang…) aux stridences les plus abruptes au sein d'un espace qui se renouvelle à mesure. Dans Soft power, « métaphore perverse du pouvoir », la vidéaste russe Elena Artemenko manie le second degré à travers des images proches de l'univers pictural des surréalistes, accompagnées des sonorités d'un alto fort saturées. La soirée s'achève avec l'œuvre du polonais , Space where I used to be, où les interprètes investissent l'espace du public. C'est une sorte de « Caprice » sur le départ du compositeur quittant San Diego pour Berlin. Le scénario fait mention des personnes qu'il abandonne, dont les portraits sont tenus à bout de bras par les musiciens. Respirations, manifestations bruitées, chocs, actions sonores et mouvements de rotation autour du public construisent peu à peu un univers sonore aussi insolite qu'envoûtant, sorte de rituel de l'ombre fort bien accompli par des instrumentistes tout terrain, qui conjuguent ce soir jeu virtuose et talent scénique.

Crédit photographique : © Michèle Tosi

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Wroclaw. National Forum of Music (NFM). 19-21-V-2017
19-V : Elzbieta Sikora (né en 1943) : Sonosphères III et IV pour orchestre et électronique. Witold Lutoslawski (1913-1994) : Interludium pour orchestre; John Zorn (né en 1953) : Orphée pour petit ensemble; Contes de fées pour violon et orchestre; Suppôts et Supplications pour orchestre; Improvisations pour orgue et électronique.
20- V : John Zorn : Bagatelles pour laptop; Pièces instrumentales pour le Gnostic Trio; électronique live sur les films de Harry Smith.
21-V : Ryszard Osada (né en 1972) : Abstract Music pour quintette à vent et électronique; Salvatore Sciarrino (né en 1947) : Il silenzio degli Oracoli pour quintette à vent; Wojtek Blecharz (né en 1981) : Space where I used to be pour quintette à vent. Christopher Otto, violon; John Zorn, orgue; Ikue Mori, laptop; The Gnostic Trio; Quintette à vent du NFM Wroclaw; orchestre du NFM Wroclaw; direction David Fulmer.

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